La bataille des prénoms bretons perd son combattant.

       Le 8 mai dernier, Jean-Jacques Ar Goarnig s'est éteint à 86 ans. Ce nom ne vous évoque peut-être rien, pourtant de très nombreux Bretons lui doivent une partie de leur identité. En effet, il s'est battu pour que nous puissions simplement porter nos prénoms !


L'affaire des prénoms bretons


       Si aujourd'hui les prénoms Erwan, Malo, Yann, Nolwenn courent les rues, c'est en partie grâce à ce couple de finistériens Jean-Jacques et Mireille qui s'est livré à un combat acharné. Car jusqu'en 1964, l’État jacobin français s’évertua à interdire à des générations de parents bretons le droit de nommer leur enfant selon leur désir. Exit ces prénoms qui fleurent bon le terroir et la différence des cultures territoriales. Les exceptions existent néanmoins selon la souplesse des agents communaux et le lieu de naissance de l'enfant*.  Afin de contourner ce diktat, des générations successives de Bretons ont vécu avec un prénom officieux pour le quotidien, leur prénom officiel ne servant que pour « les papiers ». Cette restriction envers des prénoms bretons ou plus largement celtiques jugés trop "barbares" semble aujourd'hui si incongrue et pourtant...


        * Mon père, né en 1956, se prénomme Gwenole. Il est le dernier d'une fratrie nombreuse née entre 1939 et 1956 de notables désargentés et où aucun enfant avant lui n'a eu la possibilité de porter un prénom breton, d'où les Anne, Françoise, Paul, Jean, Ambroise, Marie, Noëlle.




       Entre 1946 et 1955 Jean-Jacques Manrot-Le Goarnig et son épouse parviennent, non sans difficulté, à faire accepter des mairies qu'elles inscrivent sur les registres d'état civil les prénoms de leur 6 premiers enfants Patrig, Katell, Yann, Morgan, Gwendal, et Diweza. Mais allez savoir pourquoi, à partir de 1956, changement d'attitude des agents d'état à leur encontre. La famille essuie un refus sans appel, les prénoms bretons ne seraient plus acceptés dans cette famille qui allait pourtant encore voir naître (par revendication !) Sklerijenn, Brann, Adraboran, Garlonn, Gwenn, et Maïween.


       Or qui dit absence de prénom légal, équivaut à des êtres non enregistrés à la naissance et donc à des enfants, des adultes sans existence officielle, sans papier. Bien sûr, le couple ne touchera pas d'allocation familiale, il se verra même poursuivie pour non-déclaration d'enfant à la naissance etc... . Mais il n'a pas décidé de plier devant les intimidations. Pire, il se lance dans un long, très long combat judiciaire. Et plus tard, il portera sa lutte jusqu'aux instances européennes. C'est l'affaire ubuesque des prénoms bretons.


       Le combat est-il gagné ? En grande partie pour les générations futures puisqu'en 1966 L'Instruction générale relative à l'état civil est bien modifiée élargissant la liste des prénoms "valides" mais sans effet rétroactif ! Les petits Goarnig n'ont donc toujours pas d'existence légale. En outre l’État français ne versera jamais la totalité des arriérés des prestations sociales. Estimant que l’État reste leur débiteur, les parents Le Goarnic n'en refusent pas moins de payer leurs impôts. Donnant donnant. Tous leurs enfants sont finalement reconnus par les instances européennes qui leur octroie la " citoyenneté européenne de nationalité bretonne " !


La renaissance des prénoms bretons

     La victoire du couple Ar Goarnig s'inscrit dans le temps. En 1950, à peine 3 % des enfants nés cette année là en Bretagne portent des prénoms régionaux. En 2002, 15 % des 37 000 enfants nés en Bretagne "administrative" (par opposition à la Bretagne réunie) ont été enregistré à l'état civil avec un, voire des, prénoms bretons. L'INSEE - organisme de statistiques d’État - explique ce mouvement de renouveau amorcé dans les années 1970, par le souhait "d'inscrire les origines régionales dans l'identité de l'enfant".

     En 2009, Maëlys et Mathéo, se hissent même respectivement à la vingtième et dixième place des prénoms les plus donnés en... France !


     Jean-Jacques Ar Goarnig ou comme il aimait se faire appeler Goarnig Kozh (le vieux Goarnig) "aimait la Bretagne de toutes les fibres de son être, viscéralement, comme son ami Glenmor, son alter ego sur le chemin de la vérité lancée à tous les échos, pourfendant l'obscurantisme par le réveil des âmes".

Pour en savoir plus :
ici Article du Télégramme.
L'affaire des prénoms bretons : le long combat de la famille Le Goarnig, in Armen, n° 144, p 28-35, 2005.

H.M

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