Sérusier P., La veuve de guerre, 1919. |
Tout d'abord, ce sont des monuments aux morts dits pacifistes, c'est à dire qu'aucun soldat n'y est représenté, il n'y a pas non plus de reste d'obus autour de la sculpture, ni de représentation militaire comme les armes des régiments, etc...
Ensuite, les premières victimes de la guerre sont ici clairement féminines. Les hommes sont souvent absents de ces monuments aux morts. Pourtant ce sont bien eux qui allaient sur les fronts orientaux. Oui, mais ce sont les femmes qui attendaient leur mari, leurs fils, leurs frères. Ce sont elles aussi qui les pleurent lorsque ceux-ci ne reviennent pas. Et encore elles qui doivent assurer le quotidien après la disparition. Et finalement elles qui prennent en charge les traumatismes de guerre lorsque le fils, le père, le frère, le mari revient blessé, défiguré, gazé ou traumatisé par les horreurs de la Grande Guerre.
La pleureuse de Tréguier de F. Renaud. Reproduction interdite sans autorisation - Tous droits réservés All rights reserved (art L.111-1 et L.123-1 du code de la propriété intellectuelle). |
Monument de Pontrieux (22) de Pierre Lenoir. Reproduction interdite sans autorisation - Tous droits réservés All rights reserved (art L.111-1 et L.123-1 du code de la propriété intellectuelle). |
Elles sont représentées également en habits traditionnels de leur pays respectifs. Marie-Louise Gaultier de Tréguier est vêtue de la mante traditionnelle des veuves, reconnaissable par la large capuche protégeant la toukenn, la coiffe du pays de Tréguier. A Pontrieux (22) et à Pléhédel (22), les figures féminines portent également la mante traditionnelle des veuves. Mais autrement, leurs habits traditionnels sont bien moins détaillés que la pleureuse de Tréguier.
Enfin, la matière même du monument. Ils sont en "pierre du pays" à l'image de la pierre de Kersanton sculptée par Francis Renaud à Tréguier. Outre cette pierre magmatique, j'ai croisé des pierres plus blanches-rosées à Pontrieux, voir blanches à Pléhedel.
Combien de Bretons sont morts dans la "boucherie" de 14-18 ?
C'est une question qui agite encore aujourd'hui la toile et le monde des historiens. Officiellement, la France reconnaît entre 120.000 et 125.000 Bretons "morts pour la France". Mais des historiens évoquent plutôt les chiffres de 150.000 voire la barre (très, trop sans doute) haute de 200.000 morts pour les régions militaires de Rennes et de Nantes, car il n'est pas rare, de ne pouvoir retrouver les corps (qui ne sont alors pas comptabilisés dans les pertes humaines).
Monuments aux morts de Pléhédel (22) |
- Démographie du Finistère (1914) : environ 800.000 habitants / Pertes en hommes 32.885
- Démographie Morbihan (1914) : environ 580.000 habitants / Pertes en hommes 29.914
- Démographie Côtes-d’Armor : environ 600.000 habitants / Pertes en hommes 26.809
- Démographie Ille-et-Vilaine : environ 610.000 habitants / Pertes en hommes 23.896
- Démographie de Loire Inférieure (Atlantique) : environ 670.000 habitants / Pertes en hommes 23.999
Total : 3 260 000 d’habitants. Total des mobilisés bretons : 600 000 soit un taux de mobilisation de 18,4%. Bien que le taux de mobilisation breton soit plus faible que la moyenne nationale, le taux de mortalité breton, lui, est plus fort. À cela il faudrait ajouter les Bretons de la diaspora, vivant en dehors de la Bretagne “historique”.
Donc :
- Quand 1 Français meurt, 1,3 Breton de Loire Inférieure meurt.
- Quand 1 Français meurt, 1,4 Finistériens meurent
- Quand 1 Français meurt, 1,6 Bretons des Côtes d’Armor meurent
- Quand 1 Français meurt, 2 Morbihannais meurent !
- Quand 1 Français meurt, 1,6 Bretons des Côtes d’Armor meurent
- Quand 1 Français meurt, 2 Morbihannais meurent !
Même le plus faible taux de mortalité des cinq départements bretons - celui de Loire Inférieure - demeure au dessus de la moyenne française (+ 4,4%). Les Bretons mobilisés représentent 7,5% de l’effectif français mais 10,6% des pertes totales. Les Bretons, les Basques, et autres "minorités" faisaient semble-t-il une meilleure chair à canon en première ligne.
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L'hécatombe en vie humaine explique le vide laissé au pays par les morts pour la France et la douleur des épouses, mères, sœurs et filles qui se lit dans les monuments aux morts bretons.
<---- Des enfants, orphelins de père et à qui on a attribué des médailles militaires à titre posthume comme piètre réconfort... Très belle exposition photographique à Runan (22) en 2012.
Pour aller plus loin :
CHAURIS (P.), Le kersanton, une pierre bretonne, Rennes, 2010.
ici, Le sculpteur René Quillivic, Le Télégramme, 11 novembre 2013.
ici, Listes des monuments aux morts pacifistes, wikipédia.
ici, explications concernant le peintre Paul Sérusier du tableau ci-dessus La veuve de guerre.
Une petite vidéo en bonus...
H.M
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