La population bretonne : jeune et croissante.
Avec 3,2 millions d’habitants en 1911, la Bretagne connaît son apogée
démographique. Contrairement aux autres provinces françaises, la population a
augmenté tout au long du 19ème siècle. La natalité reste élevée : une
famille bretonne sur trois a encore plus de quatre enfants. Dans ces
campagnes surpeuplées, la part des jeunes est considérable : 41 % des
Bretons a moins de vingt ans. Les fermes, souvent trop petites pour
permettre à tous d’y vivre, alimentent l’exode rural vers les villes bretonnes mais aussi vers la région parisienne, les ports comme le
Havre, les colonies, et parfois l’Amérique.
Un Breton sur quatre vit en ville
En 1914, 25 % des Bretons sont
urbains contre 44 % au niveau national. Les grandes cités sont peu nombreuses. Nantes est alors la grande
ville bretonne avec une agglomération de 210 000 habitants, devant le grand
Brest avec 117 500 habitants. La population de Rennes
s’accroît pour atteindre 79 000 habitants quand Lorient en rassemble 50
000.
La spécificité bretonne (encore aujourd'hui !) réside sur un riche maillage urbain : de petites villes, et
de gros bourgs, vivant en lien avec la campagne environnante (artisans,
commerces, lieux de foire, de marchés) et formant des relais pour les gros pôles urbains de la région.
Enfin, les petites cités de
l’intérieur ont tendance à stagner tandis que les villes du littoral voient leur
population augmenter.
Une société rurale et maritime !
La vie dans ce paysage de bocage est rythmée par les travaux des
champs. La polyculture a encore pour finalité de nourrir la famille. Seul le surplus est vendu (marchés, foires urbaines).
En 1913, la
petite propriété domine : deux exploitations sur trois sont inférieures à
10 hectares. Cependant des changements apparaissent :
- augmentation des terres
cultivées aux dépens des landes pour faire face au boom démographique,
- utilisation croissante d’engrais,
- culture de la
pomme de terre et du froment,
- essor de l’élevage porcin.
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Battage du blé dans la campagne de Pontivy vers 1904. L’agriculture bretonne emploie une population nombreuse, malgré un début de mécanisation. |
Les ressources de l’Armor
Les Bretons représentent la moitié des effectifs de la marine de
guerre française. La "Royale" attire notamment les marins-pêcheurs touchés par la
crise de la sardine et le transfert de conserveries en Espagne, au
Portugal et en Algérie. Cependant, la pêche reste un pilier important de
l’économie régionale. Là encore, la moitié des pêcheurs français sont
bretons. De Camaret au Croisic, c’est la pêche à la sardine qui domine. A
Douarnenez, il y a 700 bateaux et 4 000 marins qui alimentent les 26
usines. Il y a aussi Concarneau, Audierne et Le Guilvinec qui abritent
d’importantes conserveries. La pêche au thon est pratiquée par des
marins de Groix, d’Etel et de Port-Louis tandis que Saint-Malo concentre
les navires armés pour la grande pêche à la morue à Terre-Neuve.
Enfin, Camaret se spécialise dans la pêche à la langouste au large de la
Mauritanie.
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Bateaux sardiniers à quai dans un port sans doute du sud Finistère, vers 1910. |
La Bretagne de 1914 est peu industrialisée (ou inégalement)
En
ces années d’avant guerre, les employés des arsenaux sont de plus en
plus nombreux à Indret, Lorient, Rennes mais surtout à Brest (8 000 en
1913). A côté des poudreries de Pont-de-Buis et du Relecq-Kerhuon,
l’État contrôle les manufactures des tabacs de Nantes et de Morlaix.
L’industrie bretonne est liée à l’agriculture et à la pêche :
beurreries, minoteries, conserveries de poisson et de charcuterie (pâté
Hénaff), les forges d’Hennebont produisant le fer blanc nécessaire aux
conserveries. A noter aussi que l'industrie de la chaussure à Fougères emploie 10 000
personnes en 1900.
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Solidarité (soupe populaire) lors des grèves à Fougères de l'hiver 1906-1907. |
Mais une certaine forme de handicap pour l'industrie demeure : plus de la moitié de l’industrie bretonne est située en Loire inférieure (atlantique aujourd'hui) :
- industrie alimentaire (biscuiterie Lu, raffinage du sucre, tapioca,
chocolateries, rizerie etc...). Sachant aussi que les capitaux nantais ont participé à créer certaines filières dans le reste de la Bretagne (conserverie dans le sud-Finistère...), ces filières sont ainsi encore en 1914, plus ou moins dans les mains d'industriels nantais.
- industrie chimique (engrais...),
- industrie métallurgique
(forges de Trignac...)
- construction navale (Nantes et Saint-Nazaire).
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Un symbole de l'industrie nantaise : la biscuiterie LU, avant 1930. |
Avec l'arrivée du train, la Bretagne est désenclavée
En 1914, les chefs-lieux de canton sont pour la plupart reliés par le
train. Même si l’ensemble du réseau n’est pas achevé, deux principales lignes (Nord et Sud), et des axes secondaires desservent les ports de pêche, les régions agricoles, et les stations
balnéaires. Avec le chemin de fer, l’économie bretonne est mieux
intégrée aux marchés nationaux,
Le déplacement des personnes est
facilité et ouvre la péninsule à une nouvelle activité : le
tourisme balnéaire. La mode des bains de mer et la découverte de la
plage attirent des plaisanciers françaises et britanniques aisés. Ils s’installent pour l’été à Dinard, au Croisic, à La Baule... . Le
littoral se couvre de villas et d’hôtels mais aussi d’aménagements
modernes et d’équipements de loisirs parfois dignes de grandes villes (service des eaux, éclairage
électrique, tout-à-l’égout, casinos, golfs,
hippodromes).
Identité bretonne
En 1914, sur 1,5 million de Bas-Bretons, la moitié ne parle que le
Breton et les ¾ l’utilisent de manière usuelle dans leur vie
quotidienne. Mais le breton se perd auprès des jeunes générations car
l’école de la IIIème République interdit formellement sa présence dans
la classe et lors des jeux dans la cours (punition corporelle pour les enfants
s'exprimant dans leur langue maternelle). L’attaque la plus forte
fut menée par Émile Combes (1902) lorsqu’il voulut interdire au clergé
l’usage du breton pour prêcher et enseigner le catéchisme. En réaction,
le mouvement régionaliste breton s’organise. Et sa revendication
première est la reconnaissance officielle de la langue et son
enseignement. C’est ce que demandent l’Union Régionaliste Bretonne
(1898) et son millier d’adhérents, surtout des notables issus de la
noblesse et du clergé.
La Bretagne des châteaux et des presbytères reste en effet très influente. Les
aristocrates règnent sur leurs terres, entre réceptions mondaines et
chasse. Certains participent à la modernisation des campagnes en y
favorisant le développement de techniques nouvelles, comme James de
Kerjégu avec l’École d’agriculture du Finistère. L’encadrement est
assuré par un clergé abondant dans une Bretagne dont sainte Anne est
devenue la patronne en juillet 1914. L’Église catholique :
- maintient son
autorité sur la communauté villageoise,
- marque sa forte présence dans le
domaine scolaire,
- rythme l’année de pardons et de fêtes religieuses,
- encourage le culte de saints locaux.
Malgré les vives tensions politiques provoquées par l’application de
la séparation de l’Église et de l’État (1905) en Bretagne, la République
n'est pas fragilisée puisqu'elle est l’aboutissement d’un long combat
avec les conservateurs (Cf. le ralliement des catholiques sous
l'influence d'Albert de Mun). Mais c’est à une République modérée que la
majorité des Bretons adhère dans les années 1900.
La
voix de ces catholiques républicains s’exprime désormais dans le nouveau
quotidien rennais L’Ouest-Eclair (1899). A côté des agents de l’État qui diffusent l’idée républicaine, La dépêche de Brest, l’Avenir de Rennes, le Phare de la Loire
à Nantes participent à la consolidation du régime qui, en 1914, n’est
plus contesté que par une minorité de nobles souvent membres de l’Action
française. En 1914, les républicains gagnent les grandes villes :
Nantes, Brest, Rennes, Lorient, Saint-Malo, Vannes. Dans les cités
ouvrières le mouvement syndical, les idées socialistes et communistes se
sont implantés. Le premier député socialiste breton est élu en 1910 et
Brest sera la première ville importante (1904).
Dans le climat de fortes tensions internationales, les Bretons sont
patriotes. Aux législatives de 1914, les députés bretons favorables à la
loi des trois ans de service militaire obtiennent de 60 à 70 % des
suffrages. En août 1914, l’entrée en guerre se fait dans la résignation.
Mais aussi avec le sentiment qu’il faut aller combattre pour la «
grande » patrie de France agressée par une Allemagne belliqueuse.
Bibliographie :
ici, le texte original, par la suite modifié, GOURLAY (P.), Bretania, février 2014.
CROIX (A.), VEILLARD (J.Y.), (dir.), Dictionnaire du patrimoine Breton, Rennes, Apogée, 2001
GESLIN (C.), Une petite patrie dans la grande (1900-1914), dans Histoire d’un siècle. Bretagne 1901-2000, Morlaix, Skol Vreizh, pp. 17-63, 2010.
GESLIN (C.), SAINCLIVIER (J.), La Bretagne dans l’ombre de la IIIème République (1880-1939), Rennes, 2005.
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