10 février 1712 : naissance d'un gentilhomme manufacturier breton.

Château de la famille Pinczon, édifié sans doute au XVIe, mais largement remanié au XIXe.
Julien-Joseph PINCZON DU SEL DES MONTS (1712-1781).

     Il naît au Sel dans une vieille famille de la petite noblesse bretonne, les Pinczon, seigneurs fondateurs de la paroisse du Sel au sud de Rennes. Sa jeunesse est inconnue, et il n'apparaît dans les sources qu'à partir de 1742, date à laquelle il fonde sa manufacture de toile à Rennes, au niveau du carrefour Jouaust. Dans ses Considérations sur le commerce, en 1750, il retrace la fondation et également les idées qu'il a voulu établir dans son entreprise, il voulait "procurer de l'occupation à un nombre considérable d'habitants qui en manquaient" et "ranimer le commerce et l'industrie des toiles bretonnes". 








     Sa manufacture produit principalement des cotonnades, "unis et à fleurs, à l'imitation de Guingamp, et étoffes étrangères, des mouchoirs façon de Bengale et des Indes, des toiles unies et à carreaux [...], des bazins, futaines, grenades et autres étoffes" (Arrêt du 18 avril 1747). Ce même arrêt transforme sa manufacture en Manufacture Royale des Toileries de Rennes. Ainsi, le roi Louis XV stimule pendant 12 ans la fabrication de toutes sortes de toiles grâce à des "subventions" (mot anachronique naturellement) et l'octroi de privilèges.


Reconstitution de toiles noyales, 4 fils de brin par l'atelier Aux fils de l'arz, Peillac (56).

     Comme souvent, les données chiffrées diffèrent selon les sources, néanmoins, les données les plus précises font état en 1751, de 800 métiers à tisser dans les 43 paroisses le long d'une ligne Noyal-sur-Vilaine La Guerche-de-Bretagne. Au total, cette activité proto-industrielle textile occuperait plus de 3000 fileuses et tisserands, pour une production annuelle de 8 750 pièces ! Il ne faut pas non plus oublier l'emploi portuaire (principalement Saint-Malo) concerné par les exportations de ces cotonnades, draps et autres étoffes.


     A partir des années 1760, les difficultés économiques et politiques s'accumulent pour Julien-Joseph Pinczon du Sel et la Manufacture Royale des Toileries de Rennes. L'économie bretonne n'est plus celle florissante qui exportait plus des deux-tiers des draps français du début du règne de Louis XIV. Perdant les précieux débouchés pour ses toiles avec les guerres perdues dans le "nouveau monde", le commerce breton s'endort doucement au cours du règne de Louis XV. Les guerres européennes font également perdre de "gros clients" à la Bretagne. Enfin, la politique douanière des rois de France pénalise très fortement le négoce de la Bretagne (pour résumer grossièrement, la France taxe les produits étrangers entrant sur son sol, en réaction, les pays concernés réagissent en n'achetant plus les produits français). La Manufacture Royale ferme ses portes en 1764 ou 1765. D'ailleurs, en 1779, après une énième création de droits de douane sur les importations françaises, la Flandre, l'Espagne et la Grande-Bretagne se détournent définitivement des toiles bretonnes. C'est une des raisons du déclin économique de la région amorcé au sortir du XVIIIème siècle.

      La fin de vie de Julien-Joseph de Pinczon n'est pas de tout repos mais est largement inconnue. D'abord parce qu'il entre en conflit avec les États de Bretagne (pour avoir exigé plus "d'aides financières" devant les difficultés commerciales s'accumulant) et perd peu à peu ses appuis politiques à la cour du roi de France. Enfin, lorsque éclate l'affaire dite La Chalotais, c'est à dire la fronde d'une partie de la noblesse parlementaire bretonne contre le représentant haï du roi, Julien-Joseph choisit le camps des frondeurs. Il est emprisonné sur lettre de cachet à Rennes où il s'éteint vraisemblablement en 1781.


Breillage du chanvre

A suivre :
Dans les semaines à venir, je vais tenter de produire 2 articles en lien avec ce dernier
1. l'histoire de "l'industrie drapière" bretonne. Il existe toute une bibliographie sur le sujet que j'essayerai de parcourir dès que j'en ai le temps.
2. l'affaire dite La Chalotais, passionnante histoire de fronde à la fin de l'Ancien Régime.


Lectures complémentaires :
GUILLEMOT (A.), Le patrimoine religieux de la manufacture des toiles "bretagnes", in, Annales de Bretagne et des Pays de l'Ouest, Rennes, 2011. 
Ensuite, les travaux d'un historien, référence sur le sujet :
MARTIN (J.), Toiles de Bretagne, la manufacture de Quintin, Uzel et Loudéac (1670-1830), Rennes, 376 p, 1998.
ici  Très bon article complet MARTIN (J.), Un échec proto-industriel : la manufacture des toiles bretagnes, in, Annales de Bretagne et des Pays de l'Ouest, Rennes, p 101-134, 2000.
MARTIN (J.), PELLERIN (Y.), Du lin à la toile, la proto-industrie textile en Bretagne, Rennes, 300 p, 2008.
ici synthèse de l'article MARTIN (J.), Les toiles bretagnes dans le commerce franco-espagnol de 1550 à 1830, in, Annales de Bretagne et des Pays de l'Ouest, Rennes, n°199, 2011.

PINCZON DU SEL DES MONTS (J-J.), Considérations sur le commerce de la Bretagne, Rennes, 1750.

Si vous avez des questions, comme toujours, n'hésitez pas...


H.M

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