Portrait d'une communarde et d'une féministe.

Nathalie Lemel avec la coiffe traditionnelle.
      Nathalie Lemel naît au cœur de la ville de Brest le 26 août 1826. Ses parents tenant un bar, elle rentre très vite en contact avec la vie sociale et politique urbaine. Elle est scolarisée jusqu'à 12 ans puis devient ouvrière-relieuse de livre. A 19 ans, elle épouse Jérome Lemel, comme elle ouvrier-relieur. A Quimper, ils ouvrent ensemble leur boutique de reliure mais celle-ci fait faillite en 1861 ; espérant une vie meilleure, le couple déménage à Paris.


1864-1866 : les années charnières de l'engagement politique.

      Là encore, elle est vite immergée dans la vie syndicale, politique et féministe. Car en Europe, les colères ouvrières des faubourgs grondent. Il faut dire que leurs conditions de vie restent souvent misérables malgré les changements de régimes politiques. C'est dans ce contexte qu'est créée la Première Internationale à Londres en 1864. Gagnée aux doctrines socialistes et opposante farouche à l'Empire, Nathalie Lemel y adhère deux ans plus tard.

En 1864-1865, des grèves très intenses sont menées par les ouvriers relieurs. Nathalie y prend part indirectement en fondant La Marmite avec un des grands leaders ouvriers : Eugène Varlin. Ce restaurant coopératif servant des milliers de repas aux personnes économiquement démunies, sorte de Restos du cœur de l'époque, marquera les esprits. Si bien qu'elle est élue déléguée syndicale, fait extrêmement rare dans ce monde phallocratique.

En 1868, elle quitte le foyer familial à cause du "grand mal" de son mari qui faisait des ravages chez les ouvriers : l'alcoolisme. "Abandonner" mari et enfants n'améliore pas les rapports de police à son sujet mais elle est désormais plus disponible et s'investit davantage encore dans la lutte syndicale.


1871 : l'année de tous les périls.

1870 : guerre entre l'Empire français de Napoléon III et les prussiens d'Otto von Bismark. Paris est assiégé.  Les 5 mois du siège de Paris sont un épisode dramatique, la famine, le choléra, le froid de l'hiver décime la population.

21 janvier : la paix avec l'Allemagne est signée. Les Prussiens proclament l'unité de l'Allemagne tandis que le IInd Empire français est liquidé suite à la défaite. Le nouveau pouvoir républicain français, d'Adolphe Thiers craignant, à juste titre, une insurrection parisienne se retire à Versailles. D'où le nom de "Versaillais" pour désigner les autorités. Les nouveaux élus, plutôt conservateurs, multiplient les mesures impopulaires pour casser les agitations ouvrières.

18 mars : commencement de la Commune. Tout débute à partir du moment où les Versaillais veulent reprendre les canons postés en différents points de Paris, alors même que ce sont les Parisiens qui se sont cotisés pour les obtenir puis battus pour les conserver face aux Prussiens.
La Commune est une assemblée municipale élue et partisane d'une plus grande autonomie vis à vis du pouvoir central. C'est également un mouvement populaire patriotique, républicain mais pas uniquement... Les partisans de la Commune entendent "changer de vie", casser l'ordre social établi, lutter contre les jougs des travailleurs. A ce titre, la Commune est la première révolution socialiste de la période contemporaine. Pour ne citer que quelques mesures, la Commune instaure la séparation de l’Église et de l’État, abolit la peine de mort, établit un enseignement laïc et gratuit... . Enfin, fait inédit, les femmes, ouvrières et intellectuelles, sont actives sur la scène politique, elles participent également courageusement aux évènements révolutionnaires en se positionnant sur les barricades dans les rues de Paris. Elles iront jusqu'à réfléchir à la formation d'un bataillon de femmes : "les Amazones de la Seine".

26 mars : les leaders de la Commune sont donc élus. On y retrouve notamment Eugène Varlin aux côtés de l'écrivain Jules Vallès... . Ils administreront la ville jusqu'à la Semaine Sanglante.

Communardes stigmatisées pour leur violence. Tableau de Félix Théodore Lix, Musée d'art et d'histoire de Saint-Denis.


11 avril : Nathalie Lemel fonde l'Union des Femmes (au nom complet de Union des femmes pour la défense de Paris et le soin aux blessés) avec Élisabeth Dmitrieff, une noble russe de 20 ans, amie de Karl Marx. C'est tout simplement le début d'un des plus anciens mouvements féministes en France ! La Bretonne s'occupe particulièrement de questions sociales. Cette association mobilisera plus d'un millier d'ambulancières touchant la même solde et la même ration que leurs homologues masculins. La mission de l'Union des femmes ne s'arrête pas là, elle a pour vocation l'éducation laïque des jeunes filles, la lutte contre la prostitution, la création de crèches, l'insertion professionnelle etc...

21-28 mai : Semaine sanglante. La résistance des femmes sur les barricades est remarquable. C'est certainement la raison pour laquelle, beaucoup plus que pour les hommes, les "Versaillais", furent impitoyables avec elles. Calomniées car considérées comme "des femelles assoiffés de sang, des soulardes, des pétroleuses incendiaires", beaucoup furent fusillées sans remords à l'issu de la Semaine Sanglante dans le cimetière du Père Lachaise, rue du Château d'Eau. Les exécutions causeront la mort de 6 000 à 7 500 communard(e)s.

      Lors de la Commune, Nathalie Lemel se bat sur les barricades rue Pigalle. Capturée, elle est jugée en compagnie d'autres compagnes de lutte dont Louise Michel. C'est dire l'importance de cette femme !

Et voilà où conduisent toutes ces dangereuses utopies, l'émancipation de la femme, prêchée par des docteurs qui ne savaient pas quel pouvoir il leur était donné d'exercer ... N'a-t-on pas, pour tenter ces misérables créatures, fait miroiter à leurs yeux les plus incroyables chimères : des femmes magistrats, membres des barreaux ? On croit rêver en présence de pareilles aberrations !
Le Commissaire du Gouvernement au procès - septembre 1871


     


1873-1921 : le bagne, l'amnistie et la fin de cette vie de lutte

      Elle est condamnée à la déportation au bagne de Nouvelle-Calédonie. Exemplaire dans sa chute, elle refuse, en écrivant au préfet, la grâce demandée pour elle par ses amis. Elle embarque à bord de La Virginie, encore en compagnie de Louise Michel. Les deux femmes refuseront d'être séparées des hommes, leur condition d'enfermement n'en seront que plus dures. Ensemble, l’enfermement sera intellectuellement "fécond" pour elles ; elles deviennent anarchistes.

      En 1880, une loi amnistie les Communards. Nathalie Lemel revient en métropole, fatiguée par les épreuves. Elle vit de petits travaux et continue la lutte en faveur de la condition des femmes au sein du journal L'Intransigeant. Ruinée, vivant dans le plus grand dénuement et aveugle, elle s'éteint aux hospices d'Ivry en 1921. Elle a 95 ans.

      Histoire intéressante que celle de ce petit bout femme - elle mesure moins d'1 m 50 - qui fut l'une des meneuses de la Commune. Pourtant, autant Louise Michel, sa compagne de lutte, est connue, autant Nathalie Lemel est rapidement tombée dans l'oubli. Injustement oubliée alors qu'elle a été notamment à l'initiative de grandes mesures en faveur de la cause des Femmes en France.


Pour aller plus loin :

AVRIL (J.L.), Mille Bretons, dictionnaire biographique, Saint Jacques de la Lande, 2002.
BACONIN (J.), Paris 1870-1971, l'année terrible, Rennes, 2007.
KERBAUL (E.),  Nathalie Lemel, Une communarde bretonne révolutionnaire et féministe, 162 p, 2005.
PERRAULT (M.), Les femmes ou les silences de l'histoire, pp 121-201, Paris, 1998.
SALMON-LEGAGNEUR (E.), (dir.), Les noms qui ont fait l'histoire de la Bretagne, Spézet et Rennes, 1997.

Ici, Les Communardes pionnières du féminisme.
ici, Le combat des femmes dans la Commune.
ici, Les Communardes mises à l'épreuve, Libération, 23.08.2011

H.M

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