Les paradoxes de la Bretagne. Episode 1 : le niveau d'instruction des Bretons

La Bretagne forme les jeunes les plus instruits de France...

Le retard breton en matière d'instruction (Ancien Régime - 1914)

     Jusqu'en 1914, la Bretagne est l'une des régions les moins "instruite" de France. L'analphabétisme y demeure presque général puisqu'en 1860, seul 26 % de la population connaît son alphabet. La situation n'est guère différente selon les pays de la région et selon les villes et campagnes. Toujours en 1860, 78 % de Malouins et   70 % des Rennais sont analphabètes. Les deux raisons explicatives sont : d'une part l'école est française (or soit les populations ne s'identifiaient pas comme "Français", soit le breton restait la langue usuelle au dépend de la langue nationale) et d'autre part l'idée qu'il ne servait à rien d'apprendre à lire le français pour travailler dans les champs.

Le renversement phénoménal et rapide de la situation

La tendance s'inverse de façon spectaculaire à partir de 1914 pour 4 raisons principales :

  1. La crise agricole majeure. En 1914, 80 % des Bretons sont des agriculteurs. Or la mécanisation met au chômage un nombre conséquent d'ouvriers agricoles. L'exode rural (campagnes vers villes bretonnes) et l'exode régional (populations qui quittent la région) devient massif. Entre 1932 et 1968, la Bretagne perd 1 100 000 d'habitants en faveur de Paris et du Québec ! Cette ponction démographique accélère encore davantage la crise. Mais pour émigrer, il faut apprendre à ne plus parler uniquement que le breton...
  2. L'école française devient une porte de sortie et d'opportunité. Pour sortir de la pauvreté, cette école où on y apprend une langue étrangère est désormais synonyme de réussite. L'inversion éducatif de la région s'accompagne donc peu à peu d'un renversement linguistique. Le breton débute son déclin [volontairement, par le souhait de certaines populations et involontairement à cause de l'oppression de l'Etat français (interdiction pour les enfants de parler breton à l'école et avec leurs parents etc...)]
  3. La concurrence entre école religieuse et école publique créée une émulation positive, une motivation supplémentaire pour des taux de réussite importants. Spécificité bretonne, l'école privée a longtemps représenté 50 % des écoles de la région. Anecdote surtout vraie dans les petites villes : cette concurrence entre ces deux formats scolaires se retrouve dans les deux clubs de football historiques.
  4. L'État français conscient du retard de l'instruction publique en Bretagne réalise de gros investissements. La formation des professeurs enseignant en Bretagne est particulièrement exigeante. De plus, ces instituteurs sont des non-Bretons et servent par la suite d'élite francisée au sein des lieux d'affectation. Ce phénomène d'implantation d'élite française se vérifie surtout en Basse Bretagne.
L'instruction des Bretons depuis les années 1990 : un héritage qui se confirme

     Depuis la décennie 90, les jeunes Bretons sont au premier rang de l’excellence scolaire au brevet des collèges comme au baccalauréat. De même la population bretonne est considérée comme la plus instruite en moyenne (selon le nombre de livres lus par an, le taux d'abonnement à des revues scientifiques, la fréquentation des musées, des conférences, première en prêts de livres en bibliothèque...). L'université de Rennes est au 4ème rang français et 1ère en province si on exclu les structures parisiennes. Pourtant la région connait un premier exode de ses jeunes après le baccalauréat. Ils ont les meilleures résultats et donc sont recrutés par les grandes écoles de la capitale.
     La dynamique amorcée se continue et il existe toujours le sentiment parmi la population que l'école est un moyen d'ascension sociale. La Bretagne se caractérise également par :
  1. une pré-scolarisation (dès 2 ans) plus massive que la moyenne nationale,
  2. des structures éducatives plus petites, et avec des classes en moyenne moins chargées que dans le reste de la France,
  3.  des enseignants ayant été très performants aux différents concours de l'Enseignement public. En effet, plus de "points" (meilleures notes) sont requis pour prétendre enseigner dans la région,
  4. il n'existe pas de phénomène (négativement qualifié) de "banlieue" en Bretagne. Seul 6 lycées sont classés en ZEP en Bretagne sur les 130 nationaux.
Hors dans l'ensemble des autres régions françaises, il existe une corrélation entre le niveau de diplômes et les salaires...



... mais les Bretons sont au 18ème rang des salaires français !

     Le bas niveau des salaires en Bretagne reste une anomalie à l'échelle de l'Europe. En effet, le salaire mensuel moyen est 700 € plus faible que celui des jeunes parisiens. Pourquoi ?

L'exode des jeunes diplômés

     Chaque année, la Bretagne perd 1 000 jeunes ayant une licence soit une perte de 10 000 jeunes sur  10 ans ! C'est encore pire pour les jeunes ayant un master : 1 300 par an ! Pourquoi cet exode ?
  1. Les jeunes diplômés partent légitimement pour l'attrait des salaires correspondant à leur niveau de qualification. 90 % émigrent vers Paris.
  2. En Bretagne, 2/3 des emplois sont des emplois d'ouvriers ou d'employés ne laissant paradoxalement que peu de place pour les plus diplômés,
  3. La géographie du pouvoir de décision français se joue sur 1,8 % du territoire français : Paris intra-muros ! 919 000 emplois décisionnels sont concernés (télécoms, banques, assurances, logistique...), soit plus de 50 % des emplois de "hauts" cadres français. La région compte seulement 60 000 de ces emplois, ce qui est déjà important pour la province. 96 % du brassage financier français s’exécute à la Défense, Paris concentre 75 % des journalistes français, tous les ministères sont dans une zone de   22 km², l'ensemble de la presse nationale se situe dans deux rues de Paris... . Or l'origine de ces cadres très diplômés est souvent bretonne.

 La "grisaille" qualitative des personnes qui s'installent en Bretagne

      Depuis environ 1968, la Bretagne est une région attractive. On estime que jusqu'en 2015, la Bretagne aura encore 15 % d'arrivées d'une population toutes classes d'âges confondu. Or, elles ne compensent pas qualitativement les pertes des diplômés puisque leur niveau scolaire est plus faible. Ce constat est d'autant plus vrai avec les jeunes qui n'ont pas en moyenne le baccalauréat.

Le cercle vicieux breton

     Parce que trop peu de postes de haut niveau décisionnel sont disponible en Bretagne, les jeunes diplômés émigrent et parce qu'il n'y a pas de jeunes qualifiés, l'implantation  d'emplois décisionnels par les entreprises est délicate dans la région.


 CONCLUSION : un potentiel énorme de matière grise, une faiblesse du pouvoir politique breton et des solutions possibles non-mises en œuvre aujourd'hui


      La région Bretagne obtient 1 milliard d'euro de budget, soit 44 fois moins que l’Écosse. En comparaison, les dotations attribuées à l'Îlle et Vilaine sont également     de 1 milliard d'euro. Comment une région peut mener des politiques abouties avec si peu d'autonomie financière ?

La solution passerait certainement par :
  1. un renforcement des liens entre les jeunes diplômés et les chefs d'entreprise, et plus généralement le monde du travail. Or en France, l'expérience professionnelle, les stages et autres des étudiants est souvent considérée comme négligeable. Or cette politique d’interactions entre étudiants et entreprises a largement fait ses preuves en Europe.
  2. un renforcement des liens entre les générations. En 2020, 12 000 entreprises seraient à reprendre après le départ en retraite de leur dirigeant. 
  3. une injection d'innovation sur les territoires par un renforcement des liens entre monde des entreprises et monde des étudiants. Si 91 % de l'énergie est importée en Bretagne, pourquoi ne pas mettre en place les installations, encourager l'emploi dans ce secteur et acquérir une autonomie énergétique régionale ? De plus, on sait que la mono-activité touristique est dangereuse car elle tue l'activité permanente. 

      Ainsi, la Bretagne est une terre de grands potentiels mais c'est également un territoire où le manque d'une organisation impulsée par un pouvoir régional fort fait très largement défaut. L'avenir breton passera par la mise en place d'un centre d'impulsion régional.


Ollivro (J.), Les paradoxes de la Bretagne, Rennes, 2005.


A suivre :
Épisode 2 : un bonheur de vivre affiché et un paradis de la souffrance.
Épisode 3 : une péninsule... qui tourne le dos à la mer.
Épisode 4 : une région en pointe pour la solidarité internationale mais fragilisée à l'international.
Épisode 5 : un lieu de bouillonnement intellectuel mais dans une inorganisation d'ensemble.

H.M

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