Article et réflexions de Frédéric Morvan, historien de la Bretagne, 26.06.2015 (ici)
Le problème actuellement n'est pas de savoir quelle est la place de
l'histoire en Bretagne, mais de savoir quelle est la place de l'histoire
de Bretagne ? Les Bretons aiment l'histoire et le montrent en
plébiscitant les festivals à thème historique, en protégeant leur
patrimoine, jusqu'à leurs lavoirs.
Cependant, après des années
d'observation, je remarque avec une certaine stupéfaction, avec
regrets, que l'histoire de la Bretagne n'a pas droit au même traitement ?
Pourquoi ? Est-ce la faute des Jacobins et de la centralisation
étatique parisienne ? Les Bretons en sont-ils responsables ?
Dans
son dernier ouvrage écrit en collaboration Secoue toi Bretagne,
l'historien de la Bretagne, André Lespagnol, évoque la nécessité de
promouvoir l'économie de la connaissance comme remède à la crise
économique, tout en préservant les activités économiques traditionnelles
qui ont fait la richesse de la Bretagne. Cependant, force est de
constater que si la Bretagne dispose du contenant - les entreprises de
haute technologie ne manquent pas en Bretagne - le contenu pose
problème surtout lorsqu'il s'agit d'histoire de la Bretagne. Il est
difficile, voire quasi impossible, de sortir de la conception romantique
des historiens du XIXème siècle. L'histoire selon Arthur de La Borderie
reste toujours une référence. Pourquoi ?
Et pourtant, les livres
d'histoire de la Bretagne publiés depuis le XIXe siècle ne manquent
pas. Beaucoup de thèses éclairant des éléments importants de l'histoire
de la Bretagne ont été écrites et publiées. La Bretagne n'a pas manqué
de grands historiens, peut-être en manque-t-elle maintenant ? Il est
vrai que le système des mutations au sein de l’Éducation Nationale lui
retire une grande partie de ses meilleurs talents transférés pour
longtemps, trop longtemps, hors de Bretagne.
Souvent,
trop souvent, et encore récemment, il m'a été donné de constater que
l'on mettait la charrue avant les bœufs. Issues de trois mondes,
culturels, politiques, économiques, des personnalités souhaitent
valoriser l'histoire de la Bretagne. Elles ont des idées, de belles
idées. Lorsqu'il leur faut les concrétiser, elles se tournent vers
l'historien de la Bretagne qui ne peut leur répondre car souvent il ne
sait pas car on n'a pas encore travaillé sur le sujet, ou pire le
traitement du sujet est à revoir, personne n'ayant eu ni le temps ni le
désir ni le courage de combler les lacunes. Il est clair que tout le
projet, et souvent en voie d'achèvement, se retrouve en danger. Dès le
départ du projet, on ne s'interroge donc pas sur la faisabilité.
Pourquoi cette certitude que l'histoire de la Bretagne est totalement
connue ? Pourquoi cette idée d'achèvement ? N'a-t-on pas le droit de
chercher davantage, de trouver d'autres solutions, d'autres vérités
historiques ?
Bien sûr il faut de la cohérence, une véritable
volonté politique. Mais qui en a et en aura le courage ? Les élus
bretons historiens foisonnent et au plus haut niveau. On fait des
promesses qui ne sont pas tenues. « L'argent manque », du moins c'est
que l'on me dit, c'est ce que l'on entend partout et cependant lorsque
le projet est « politiquement » correct, l'argent sort comme par
enchantement, de manière abondante.
Chacun veut actuellement
combler le vide ou plutôt un certain vide, collectivités publiques
(mairies, départements, Région surtout), particuliers (hommes
d'affaires), associations. Chacun travaille actuellement dans son coin.
Pour vivre heureux vivons cachés, tel semble être le slogan actuel. Mais
où cela nous conduira-t-il ? C'est bien beau de connaître l'histoire de
Ploërmel, d'Ergué-Gabéric, de Saint-Malo ou de Lanildut si on ne
connait pas l'histoire de Bretagne.
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