La catastrophe du Boivre (1/2)

        En préambule, je tiens à remercier chaleureusement l'historien Michel Gautier. Grâce à lui, j'ai d'abord découvert ce qu'était la catastrophe du Boivre, un épisode tragique du département de Loire inférieure encore trop peu connu, ensuite parce qu'il m'a gentiment autorisé à le citer (en italique) pour publier cet article.



Quel est le cadre géographique ? Qui vit de et sur cet espace ?

        Le Boivre est à la fois une rivière et un marais. Une petite rivière d’abord, de 18 km de long, entre la Camillère à Saint-Père-en-Retz où elle prend sa source et Saint-Brévin où elle se jette dans la mer. Petite rivière très paresseuse et de faible pente, avec de nombreux méandres, recevant les eaux d’un bassin versant de 6.000 ha et se transformant en marais chaque hiver. On dit alors que le marais blanchit, recouvrant un bassin d’environ 7 km de long sur 1,5 km de large.

Carte de la zone, au nord : Saint-Nazaire, au sud : Saint Michel-Chef-Chef, Pornic.


        (En 1945) de part et d’autre de la rivière, sur une superficie d’environ 450 ha, on comptait environ 80 fermes sur la commune de Saint-Père-en-Retz et 25 sur celle de Saint-Brévin, réparties dans une trentaine de villages. Comme pour tout marais, il s’agissait d’une économie assez pauvre : à la belle saison, on y faisait pâturer les vaches ou les moutons ; on y faisait aussi des foins ; à l’hiver, le marais redevenait un territoire de chasse et de pêche. Le bassin d’écoulement du Boivre était géré par le Syndicat du Marais dont l’assemblée générale des riverains élisait six syndics à Saint-Père-en-Retz et deux à Saint-Brévin, chargés de la bonne gestion de 360 hectares de marais sur la commune de Saint-Père-en-Retz et de 90 sur celle de Saint-Brévin.


Quel est le contexte historique de cette catastrophe ?

La "Poche" au maximum de son extension, en mars 1945, elle s'est réduite surtout en Nord-Loire.


      En mars 1945, le territoire français est presque entièrement libéré, les Alliés enchaînent les victoires en Alsace, percent la ligne de front sur le Rhin, prennent notamment Cologne à l'ouest, Dantzig à l'est et les dernières V2 sont lancées sur l'Angleterre. Mais à Saint-Nazaire, La Rochelle, Lorient, Brest, Dunkerque..., des troupes allemandes résistent toujours en s'enfermant dans une zone retranchée. Et à chaque fois, elles retiennent prisonnières la population locale, des milliers de personnes qui attendront la Libération pendant encore 9 mois. Alors que Nantes est libérée le 12 août 1944, la Poche de Saint-Nazaire ne se rendra que le 11 mai 1945, soit après la capitulation totale de l'Allemagne nazie (8 mai) ! Elle sera d'ailleurs la dernière ville française à être libérée...







0:40' : l'intervention de Michel Gautier.


ici : Les actualités françaises du 16 mars 1945, ce qui correspondrait au Journal télévisé aujourd'hui. Saint-Nazaire comme Brest, Lorient ou La Rochelle sont eux encore occupées par les troupes du IIIème Reich !



Est ce que ce secteur "du Boivre" représentait un intérêt stratégique dans un tel contexte ?


        Ce petit ruisseau ne présentait pas d’importance stratégique particulière pour les Allemands mais il appartenait à un réseau hydrographique plus vaste, celui de tout le sud de l’estuaire de la Loire, et il faut remonter à un événement historique antérieur (l'Opération Chariot du printemps 1942) pour comprendre les enjeux. [...] Comme le naufrage du Lancastria, cet exploit des commandos anglais a marqué la région. Sa portée militaire immédiate est limitée mais sa portée symbolique très grande. Cette opération fut qualifiée par Churchill " d’un des plus hauts faits d’arme de la seconde guerre  mondiale ". 

        Dans la nuit du 27 au 28 mars 1942, alors que K. Dönitz lui-même (le commandant en chef de la marine allemande : la Kriegsmarine) venait d’inspecter les installations et les défenses de Saint-Nazaire, un commando anglais de plus de 600 hommes, à bord d’une petite formation composée du destroyer Campbeltown, de deux destroyers d’accompagnement et de seize vedettes, parvenait à s’infiltrer dans l’estuaire de la Loire et dans le port. Le Campbeltown transformé en bateau bélier, lesté d’une cale piégée avec 4 tonnes d’explosifs, [...] se jetait sur la porte sud de la forme Joubert (un radoub servant aussi d'écluse dans le port). Au matin suivant, le bateau explosait sous les pieds de ses visiteurs allemands. De violents combats se déroulaient alors dans le port et dans la ville. La plupart des commandos anglais furent tués, blessés ou capturés. 19 Nazairiens périrent au cours des combats et les pertes allemandes s’élevèrent à environ 350 morts. Hitler, furieux, chercha des coupables. [...] Il dépêcha G. Von Rundstedt qui ne constata aucune erreur de surveillance ni de faute de commandement ; c’était le dispositif proprement militaire et défensif qui avait montré ses failles.

Le HSM Campbeltown encastré dans la forme Joubert avant son explosion au matin du 28 mars 1942.


        (En 1942) Les Allemands commencèrent déjà à évoquer l’éventualité d’un débarquement allié sur les côtes atlantiques ! Hitler décida alors de précipiter l’application de la directive sur le « Mur de l’Atlantique » de faire des côtes françaises « une forteresse imprenable de face ou par encerclement ». Or, ce « mur » n’était pas constitué que de défenses en béton et de blockhaus ; il comportait aussi des défenses inertes comme les surfaces inondées ou les marais. Outre l’installation de radars et de canons plus puissants, [...] une partie de l’estuaire de la Loire fut donc transformé en « forteresse aquatique » : les accès à la mer de tous les ruisseaux, étiers, et canaux... sont fermés. Ce qui provoqua la montée des eaux dans les marais de Vue, la Prée de Tenue, les marais du Migron, de Corsept, du Greix, de Haute-Perche et de Retord et bien sûr dans le marais du Boivre. Il s’agissait d’empêcher un débarquement aéroporté éventuel sous forme de parachutages ou de planeurs. Toute surface de quelque étendue et non inondable, fut plantée " d’asperges de Rommel " ! À partir de la fermeture du « touque » du Boivre au printemps 1942, le petit fleuve côtier déborda rapidement ses rives pour recouvrir l’ensemble du marais, été comme hiver. L’hiver 44-45 fut particulièrement pluvieux. Ça débordait à l’Arche du Boivre, à la Riverais, au Pont Clairet, à la Pilorgère. Il y avait 5 m d’eau au milieu du lac et 1,50 m sur ce que l’on appelle aujourd’hui « la route bleue ». Des vignes et des jeunes blés étaient les pieds dans l’eau. Cet espace de liberté [...] s’était transformé en piège pour tous ses habitants.  


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Pour aller plus loin :

ici : Visage de Saint-Nazaire à sa libération en mai 1945. Archives INA.
Gautier (M.A.), Poche de Saint-Nazaire. Neuf mois d'une guerre oubliée, Geste éditions, La Crèche, 2015, 424 p. Voir ici.
                     , Une si longue Occupation, Combats et vie quotidienne en Pays de Retz (1940-1945), La Crèche, 2005. Voir ici.

Desquesnes (R.), Les poches de résistance allemandes sur le littoral français : août 1944 - mai 1945, Rennes,‎
Pilven Le Sévellec (J. et Y.), Les délaissés de la Libération. La vie de tous les jours dans la poche de Saint-Nazaire, Nantes, 1995



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