30 juin 1944 : la rafle de Crozon

Synthèse personnelle à partir de : Drévillon (M.), La rafle du 30 juin 1944, in Avel Gornog, n°12, Etre daou Vor, Crozon, 2004. 
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Introduction

        Pendant l'occupation allemande, les actions de résistance (actes isolés ou d'opérations préparées) sont nombreuses en Presqu'île de Crozon : destruction de véhicules réquisitionnés par les Allemands, câbles téléphoniques très fréquemment coupés et la voie ferrée endommagée. Les occupants allemands prennent des mesures de répression individuelles ou collectives : réquisition d'hommes pour des gardes diurnes et nocturnes, arrestations et sanctions diverses. Ainsi, à la fin de l'année 1941, des câbles ayant été sectionnés à 3 reprises sur son territoire, la commune de Crozon se voit lourdement punie, elle est contrainte, par ordre de la Feldkommandantur de Quimper, de " consigner entre les mains des autorités allemandes, (...) une somme de 60.000 francs à titre de garantie contre de nouveaux actes de sabotage ". Cependant, les mesures coercitives n'empêchent la poursuite des actions de résistance.

         Juin 1944. Le Débarquement a eu lieu sur les côtes de Normandie. L'avance rapide des troupes alliées et la perspective des combats à venir dans la Presqu'île rendent nerveux les occupants. Sur ordre du groupement de résistance de Douarnenez, divers actes de sabotage sont entrepris, notamment sur la voie ferrée Châteaulin-Camaret et sur des câbles de transmission souterrains reliant la presqu'île de Crozon au Cap Sizun. Mais les représailles allemandes sont, cette fois, exceptionnellement dramatiques pour les populations locales.

La route ralliant Morgat. Médaillon à gauche : un feldgendarm, à l'été 1944 (Bundesarchiv). © H.Men


La rafle à Crozon puis à Plonévez-Porzay

        Dans la matinée du vendredi 30 juin, des soldats allemands bloquent toutes les routes d'accès au bourg de Crozon. Toutes les personnes qui se présentent au barrage sont automatiquement arrêtées. Les feldgendarmes les regroupent en plusieurs points à l'abri des regards. La nouvelle des arrestations se répand. Ensuite, toutes les maisons alentours sont fouillées. Plus tard dans la journée, les différents groupes raflés sont conduits vers la Mairie, où un officier allemand procède à divers contrôles. Arbitrairement, les personnes arrêtées sont réparties de façon en deux endroits de la Place de l’Église : une grosse centaine de personnes près de la pompe, elles seront par la suite relâchés ; 43 autres, des hommes uniquement, sont alignés le long du mur de l'église. L'un d'eux, M. Guiffant, comprenant le danger, se glisse discrètement dans l'édifice par la porte du transept restée ouverte et regagne sa maison sans être repéré. Pour les autres otages, une longue attente commence dans une ambiance angoissante : chiens agressifs, ordres hurlés, et une mitrailleuse pointée vers eux. Vers 17 heures, quelques camions bâchés contournent la Mairie, puis disparaissent en direction de Châteaulin. A pied, les 42 otages sont alors conduits jusqu'à une carrière à Menez Gorre. Les camions sont là, qui vont les emporter vers une destination inconnue.

        Le convoi se rend d'abord à Châteaulin, puis il s’arrête à l'entrée du bourg de Plonévez-Porzay. Là, des feldgendarmes descendent des camions et se dirigent vers l'église où de nombreuses personnes sont rassemblées à l'occasion d'un enterrement. Ils procèdent à des interrogatoires et à des contrôles de papiers. Le convoi reprend sa route en direction de Quimper, 10 otages supplémentaires ont rejoint leurs camarades d'infortune. Ils sont 52 désormais, âgés de 15 à 43 ans, pères de famille pour certains, étudiants, marins pêcheurs ou marins d’État, fonctionnaires de la Division du Port de Brest, chauffeurs ou mécaniciens, ouvriers réquisitionnés par les Allemands, commerçants ... Ils n'ont rien à se reprocher, sinon la malchance de s'être trouvés là au mauvais moment.


Destination : l'enfer ! 

       Sans avoir été jugés, les otages sont conduits à la gare de Quimper dans la soirée, où ils rejoignent d'autres prisonniers dans les wagons à bestiaux d'un convoi prêt pour un départ immédiat. Évitant les zones aux mains des Alliés, le train parvient à Compiègne au bout de 10 jours et 11 nuits. Hommes et femmes sont alors dirigés vers le camp de transit de Royallieu (appelé également Frontstalag 122). Situé dans un faubourg de la ville, c'est le seul camp d'internement français entièrement administré par les Allemands, il sert de gare de triage pour de nombreux convois à destination des camps de concentration en Allemagne. Les conditions de vie y sont déplorables. Les prisonniers s'affaiblissent rapidement. D'ailleurs le 28 juillet 1944, l'un d'eux, Joseph Téphany, malade, ne sera pas du convoi, l'un des derniers trains vers les camps de concentration allemands au départ de Compiègne avec 1.200 Hommes.

        Le 31 juillet, au terme d'un trajet éprou­vant, les 50 otages (1 décès) arrivent au camp de concentration de Neuengamme, à 25 kilomètres au sud-est de Hambourg. Dans une zone marécageuse sur la rive droite de l'Elbe, le camp principal est établit autour d'une ancienne briqueterie, remise en activité. Les détenus sont employés à divers travaux : entretien du camp, extraction de la terre glaise pour la fabrication des briques, aménagement des bords de l'Elbe, comblement des marais etc ... . Par la suite, la plupart des prisonniers bretons sont dispersés dans les kommandos extérieurs, camps annexes répartis autour des centres industriels du nord de l'Allemagne (Brème, Hambourg, Hanovre, Brunswick) et jusqu'à proximité des frontières avec le Danemark et la Hollande. Comme les autres déportés, ils constituent une main d’œuvre pour des entreprises allemandes (pneumatiques, munitions, masques à gaz, accumulateurs pour les sous-marins...). Ils sont également employés à des tâches destinées à stopper l'avance alliée (fossés antichars, construction d'abris souterrains...) ou à des travaux de déminage, de déblaiement ou de réparations après les bombardements. Le froid, la boue, l'insuffisance de nourriture et les mauvais traitements incessants, rendent les conditions de vie et de travail si épouvantables qu'en mars 1945, sur les 50 otages arrivés à Neuengamme, 34 survivent encore.
Le camps de concentration de Neuengamme en périphérie d'Hambourg. On estime qu'environ 106.000 déportés y ont été parqués. Environ 52 % des hommes et des femmes y sont décédé(e)s soit 55.000 morts.

        Sans nouvelles de leurs familles, ni de l'extérieur, ils ignorent que la Presqu'île de Crozon a été libérée, à la mi-septembre 1944, quelques semaines après leur départ. Cependant, l'étau se resserre inexorablement sur les S.S. et sur leurs camps de concentration. Dès l'automne, les raids de l'aviation alliée se multiplient sur les cibles industrielles, le jour, et sur les villes, la nuit. Début février, l'armée soviétique n'est plus qu'à 60 km au sud-est de Berlin. Les Alliés envisagent déjà la fin de la guerre à Yalta. Les Alliés occidentaux franchissent le Rhin le 7 mars. Le 5 avril, ils traversent la Weser, le 11, l'Elbe au niveau de Magdeburg. Les S.S. aux abois ont commencé à évacuer les camps et leurs kommandos extérieurs à partir du mois de février. C'est la panique. Pendant tout le mois d'avril, dans des souffrances physiques et morales indicibles, les prisonniers affamés, malades, exténués, frappés à tout instant, sont traînés par leurs bourreaux dans des trains ou à longues marches forcées d'un camp à un autre. Le camp principal de Neuengamme est lui-même évacué à partir de la mi-avril vers le camp de Sandbostel. La plupart du temps, lorsque les Anglais, les Américains ou les Russes ouvrent les portes des camps, ces derniers sont désertés par les S.S. qui ont abandonné sur place les malades, les mourants et les morts. Dans les camps libérés, les prisonniers reçoivent de la nourriture et des soins médicaux appropriés. Mais pour certains, il est trop tard ; la famine, le typhus et la dysenterie font des ravages. Trop faibles, des prisonniers succombent à quelques jours de la fin de la guerre.



        Après la mi-avril, Lübeck sur la mer Baltique devient l'endroit où convergent les derniers détenus arrivant du camp principal de Neuengamme et les survivants des colonnes sillonnant la région à pied depuis la première semaine d'avril. Alors qu'Hitler est déjà mort, que Berlin est conquise (2 mai), les rescapés sont embarqués sur des bateaux de transports de troupes allemands, pour être vraisemblablement abandonnés en pleine mer.

        L'aviation anglaise bombarde « par erreur » ce dernier convoi dans la baie de Lübeck le 3 mai, causant la mort de plus de 7.000 déportés !


 Le retour en Bretagne (mai-juin 1945)

        Seuls 18 des 52 otages de Crozon et de Plonévez-Porzay sont encore vivants. Les déportés survivants sont retenus dans les centres de secours pendant environ un mois. Ils y reçoivent des soins appropriés et une alimentation adaptée à leur état physique déplorable. Puis, après un passage obligé par l'Hôtel Lutétia à Paris, pour diverses formalités administratives, les anciens déportés français sont autorisés à rentrer chez eux. Les retours s'échelonnent entre le début mai et la fin juin 1945 (Jean Mével). Ils sont accueillis par le maire, puis rendus à leurs familles. La vie doit reprendre son cours. Après quelques semaines de repos et de réconfort, certains se voient confier la surveillance des prisonniers allemands du « Commando communal de prisonniers de l'Axe ». D'autres reprennent leurs activités d'avant la déportation.

         En 1945 et 1946, alors que les déportés ne sont pas tous rentrés, le ministère des Prisonniers, Déportés et Réfugiés entreprend dans chaque commune un Dénombrement des internés et déportés, sous forme de questionnaires individuels, sous la responsabilité d'un enquêteur. Les réponses données par les déportés libérés eux-mêmes permettent de reconstituer leur histoire. Ils évoquent les circonstances de leur arrestation, les divers lieux et les conditions de leur détention. Ils racontent tous l'absence totale d'hygiène, la rareté de la nourriture, le régime de terreur subis... Certains, comme Pierre Fertil, arrêté à Plonévez-Porzay, n'ont pas pu raconter leur calvaire.
Les formulaires de l'enquête recommandent : 
« N'oubliez pas que les renseignements que vous donnerez permettront peut-être de retrouver et d'aider non seulement votre prisonnier, mais beaucoup d'autres dont les parents sont sans nouvelles et qui souffrent en attendant que nous fassions quelque chose pour eux ». 
        Quant à ceux qui ont payé de leur vie la barbarie de leurs tortionnaires, une loi votée le 16 octobre 1946. Elle fixe les modalités du retour éventuel de leurs dépouilles mais l'insuffisance des moyens de transport rend nécessaire la constitution de convois groupés, et c'est parfois plusieurs années plus tard que les cercueils seront rapatriés vers des dépositoires, dont celui de Nantes, avant d'être remis au maire de la commune (chargé d'organiser les funérailles en accord avec les familles).

Noms des déportés de la rafle du 30 juin 1944, avec, pour la majorité, leur date et lieu de décès.

Après le conflit, le maire Jean Cornec entouré de Jean Mevel et Pierre Ferec, deux des  rescapés.

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