26 mars 1720 à Nantes : Décollation des meneurs de la "conspiration de Pontkalleg".

     En septembre 2011, à l'annonce de travaux et de fouilles dans le quartier Bouffay, des Nantais s'inquiétaient du sort réservé une plaque en mémoire d'un certain "Pontcallec" ou "Pontkalleg". Inquiétudes confirmées puisque quelques jours plus tard, des lignes dans le journal Presse Ocean expliquaient la destruction pure et simple de la plaque. Assistions-nous à une nouvelle volonté de nier l'identité bretonne de Nantes ? Pourquoi certains Nantais sont attachés à ce personnage au point de se mobiliser ? Et surtout qui était ce fameux personnage "Pontkalleg" ? 

     L'expression renouvelée et entretenue d'une identité bretonne à Nantes (et dans son pays) ainsi que les revendications populaires et tenaces en faveur d'une Bretagne à cinq départements (rattachement du département et de Nantes à la Bretagne) agacent. Certains rêveraient d'effacer cette identité bretonne à Nantes. Ainsi, depuis une petite dizaine d'années, des actions insidieuses menées par la fantoche région Pays de la Loire, les services de notre maire choletais Jean Marc Ayrault etc..., œuvrent en ce sens. Je pourrais citer à ce titre l'exposition au château des Ducs de Bretagne : "Nantais venus d'ailleurs" avec pour sous-titre Histoire des étrangers à Nantes au XXe siècle, où est présenté Louis Kervarec, jeune homme de Quimperlé ! Op.cit dans le message du 14 mars avec une vidéo faisant référence à cette exposition.



Histoire de la conspiration de Pontkalleg :
     La conspiration de Pontkalleg se situe au moment de la Régence (1715-1723) confiée au duc Philippe d’Orléans, neveu de Louis XIV, pendant la minorité de Louis XV. Période de fragilité du pouvoir royal, des troubles émaillent dans tout le royaume. La Régence est donc l’occasion pour les Bretons (en particulier la noblesse) de réaffirmer leurs particularismes mis à mal sous le règne du roi soleil (Révolte du papier timbré et des Torraben ou Bonnets Rouges en 1675).

Supplice à Nantes de Pontcallec et ses compagnons, Jeanne Malivel, graveur breton.
   Tout commence le 15 décembre 1717 quand les Etats de Bretagne, réunis à Dinan, refusent de donner sans contrepartie 2 million de livres au nouvel intendant royal. Il faut rappeler ici que la Bretagne est dans une situation économique catastrophique causée directement par la politique commerciale de Colbert (fin des siècles d'or de la Bretagne). Pire, les États de Bretagne soutenus par le Parlement de Bretagne formulent un certain nombre de revendications où ils réclament des pouvoirs administratifs et la maîtrise de leur propre budget.

      Le 18 décembre 1717, le commandant en chef de la province Montesquiou, fait dissoudre les États de Bretagne. Le Parlement n’hésite pas à souligner auprès du Régent que la dissolution des États "porte atteinte au traité d’union de la Bretagne à la couronne". Et malgré l'interdiction, les États se réunissent de nouveau à Dinan, le premier mars, la noblesse bretonne s'oppose de nouveau à l'instauration d'un nouvel impôt en Bretagne (impôt sur les boissons). Montesquiou estime que
"Les Bretons sont insolents pour peu qu’on mollisse avec eux mais ils sont souples comme un gant quand ils trouvent une autorité ferme qui veut être obéie".


     Les nobles sont ainsi chassés de Dinan et doivent se disperser. Mais ces derniers persistent en signant un manifeste "Acte d’union pour la défense des libertés de la Bretagne". Ce manifeste enchante la petite noblesse qui y adhère en masse. Bientôt 800 nobles se réunissent dans le château d'un marquis : le marquis de Pontkalleg (1680-1720). Les nobles ne font que relayer un mécontentement général à l'égard de la politique financière du Régent, accusé de remettre en cause les privilèges de la province. Le pouvoir royal minore cette mobilisation et ne réagit pas. Nous sommes en 1719.

ici la Gwerz de Gilles Servat.

     La situation dégénère pendant l'été, d'une part parce que le prix du blé flambent de nouveau dans la province et que d'autre part, pour collecter de force le nouvel impôt à Guérande l'armée royale est mobilisée. Quelques nobles réunis dans l'Association patriotique bretonne fomentent alors un complot visant à renverser le Régent en Bretagne. La fronde bretonne attire l'attention du roi d'Espagne Philippe V qui décide de les soutenir en envoyant par mer 2 000 mercenaires irlandais.

     Le 12 septembre, un bourgeois nantais est arrêté et, sous la question (mot de l'époque pour torture), révèle tout le complot. Le 22, une partie des conjurés est arrêtée, les autres dont le marquis de Pontcallec réussissent à s'enfuir. Le 30, le soutien espagnol débarque enfin à la Pointe Saint Gildas (proche de Pornic dans le Pays de Retz) mais le mauvais temps à coulé sept navires sur huit. 300 Irlandais face à une armée royale, la partie est jouée d'avance et il est décidé de lever l'ancre. Sachant le complot découvert, certains conjurés partent avec ce navire en Espagne. Philippe V se désintéresse désormais du sort de la Bretagne.



     Pontkalleg est recherché et arrêté le 28 décembre 1719 au presbytère de Lingnol. Il n'y a eu aucun affrontement militaire, aucune effusion de sang, plusieurs conjurés (dont le Moyne du Talhouët, du Couédic, Montlouis, ...) ayant confiance en la clémence royale se constituent alors prisonniers au début de l'année 1720. Malheureusement, le Régent en personne impose la mise en place d’une justice d’exception (une cour "martiale" présidée par un Savoyard). La coutume aurait voulu que les conjurés soient jugés par leurs pairs (le Parlement de Bretagne) mais le pouvoir royal voulait "couper la racine à des maux dont la contagion pourrait gâter un peuple entier." Après un semblant de procès, ils sont condamnés à mort pour crime de lèse-majesté. Le 26 mars 1720, sur la place du Bouffay à Nantes, le marquis de Pontcallec et ses compagnons mouraient la tête tranchée. Pontkalleg entrait dans la légende bretonne ...


Version rock de la Gwerz Maro Pontkalleg.


     Un récit minutieux d'une mort exemplaire, édifiante et courageuse, est rédigé par le moine confesseur de Pontkalleg. Il circule sous forme manuscrite mais ne sera publié qu'au XIXe siècle. Et puis, un chant naît, repris par Hersart De la Villemarqué dans le Barzaz Breiz, présentant le marquis comme le défenseur des pauvres opprimés : "il est mort, chers pauvres, celui qui vous nourrissait, qui vous vêtissait, qui vous soutenait, ...".
     Autant de supports qui ont ainsi entretenu la mémoire vive des victimes de la place du Bouffay et diffusé l'image d'un pouvoir monarchique absolu et tyrannique. Il nourrit une légende qui est parvenue à s'emparer de la vie et du destin tragique de nos conspirateurs pour les transformer en héros, en martyrs et en saints.



     Au delà de la légende, les historiens présentent le marquis comme un gentilhomme âpre au gain et franchement détesté par ses paysans qu’il exploite sans vergogne. Il est décrit comme un jouisseur impénitent, un être dur et violent que les scrupules n’étouffaient pas. Ils avaient peu d’amis parmi les châtelains du pays qui se méfiaient de lui. Son implication dans l’action menée contre le Régent n’augure en rien une volonté de réforme de la société bretonne. Pontkalleg et les conjurés se révoltent davantage contre un État qui rogne chaque jour leurs privilèges. La conjuration de l’association patriotique n’a pas enflammé la province comme avait pu le faire la révolte des Bonnets Rouges puisque la grande noblesse s’est tenue à l’écart, et le peuple n’a pas suivi. La légende du XIXe qui fait de Pontcallec un héros de l'autonomie bretonne contredit la vérité historique. A quelques exceptions près, la noblesse bretonne du XVIIIe, comme partout ailleurs, a toujours été peu regardante sur la marque du râtelier pourvu que le fourrage soit abondant pour elle.


Pourquoi un attachement à la plaque ou plutôt à la mémoire du marquis de Pontkalleg ? Parce que  le marquis est avant tout un symbole.


     Le souvenir du marquis de Pontkalleg reste vivace pour les nationalistes bretons, mais peu connaissent véritablement l'histoire de ce petit noble breton. C'est le défendeur de la nation bretonne, un martyr à la cause. Pour les Bretons (militants, bretonnants, société civile...), il est plutôt un symbole de la défense de la Bretagne face à l’État versaillais ou une trace bretonne à Nantes. Et même si le personnage "n'est pas tout blanc", les symboles ancrés chez une population se respectent. Que dirions-nous si une personne allait faire des grillades au dessus de la flamme du soldat inconnu ?

     Place du Bouffay à Nantes, à l'été 2011, les travaux pour la construction de l'immeuble "Carré Feydeau" et un plateau piétonnier, détruisent la plaque commémorative, nullement protégée. Pourtant on s'étonnera que les lampadaires et même les pompes à eau aient été, eux, protégés, que les panneaux du marché couvert aient été soigneusement numérotés, démontés et entreposés.

©Maryvonne Cadiou pour l'Agence Bretagne Presse
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des fouilles préventives avant aménagement d'un plateau piétonnier et la construction de l'immeuble “Carré Feydeau”, cette plaque a effectivement été malencontreusement détruite à la dépose.

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des fouilles préventives avant aménagement d'un plateau piétonnier et la construction de l'immeuble “Carré Feydeau”, cette plaque a effectivement été malencontreusement détruite à la dépose.

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     Cette plaque de comblanchien, disons le tout de suite, n'est pas importante en tant que telle. Déjà, elle a été très mal conçue, les bretonnants et les passionnés d'histoire jouent au "jeu des 8 erreurs" avec elle. Pour exemples : ce n'est pas Breiz do virviken mais Breiz da virviken, les hermines bretonnes n'ont pas la bonne illustration, le nom francisé Pontcallec est mal orthographié.... Bref la plaque pourrait être oubliée si une autre de meilleure qualité la remplaçait. Mais comme dit le dicton : "chat échaudé craint l'eau froide".... En 2005, à l'occasion de travaux, une autre plaque était déjà "malencontreusement tombée". Elle rappelait la fondation de l'Université de Bretagne "Fondée le 4 avril 1460 par la bulle du pape Pie II à la demande du duc François II, père de la duchesse Anne, et établie à Nantes, l'Université de Bretagne siégea ici même, dans l'enceinte de l'ancien couvent des Cordeliers". En 2012, les travaux interrompus (pour cause de massacre fait au patrimoine par les promoteurs), nous attendons encore son retour...
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     Il me semble que le souvenir de la place du Bouffay comme lieu d'exécutions doit perdurer, c'est l'histoire de Nantes, au même titre que la mémoire esclavagiste de la ville. A trop vouloir lisser voir gommer totalement l'identité d'un lieu on en diminue son intérêt. Si les touristes et ce qui fait la beauté de Nantes est effacée, la ville entamera un déclin, c'est certain. Pour conclure la réflexion, un petit jeu : imaginer Nantes sans toutes les constructions réalisées lorsque la ville était bretonne.... plus de château... plus de cathédrale... de belles maisons d'armateurs, de maisons de type haussmannien... de tour LU ... de hangars à bananes, de chantiers Dubigeon qui servent pourtant de cadre à une culture volontairement non bretonne (Machines de l'Île) ... plus de musée des Beaux-arts, de jardin des plantes, de parc de Procé, de chapelle de l'Oratoire... de comblements de la Loire .... Bref plus grand chose, une ville vide ..... ah si, bien sûr : il resterait la Tour Bretagne construite en 1977 mais quel nom encombrant !


Pour en savoir plus sur la conspiration de Pontkalleg :
CORNETTE J., La noblesse bretonne au XVIIIe siècle, Paris, 1995.
                     , Le marquis et le Régent : une conspiration bretonne à l'aube des Lumières, Paris, 2008. Livre fort intéressant d'un historien breton ayant par ailleurs travaillé sur bien d'autres sujets (Vauban, Versailles...).
DE LA BORDERIE A., La Bretagne aux temps modernes (1491-1789), Rennes 1894.
FREVILLE H., L’intendance de Bretagne (1689-1790), Rennes 1953. Historien, résistant et ancien maire de Rennes (1953-1977).
MINOIS G., Nouvelle histoire de la Bretagne, Paris, 1996. Livre de 925 pages que j'affectionne.
Que la fête commence, 1975, film de Bertrand Tavernier avec Jean Pierre Marielle dans le rôle du marquis.
Et aussi :
Le site de BRETAGNE RÉUNIE qui a dénombré toutes les actions menées pour lisser, gommer l'identité bretonne dans le département de Loire Atlantique.


E.M

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