Chapitre 6 : Protohistoire des peuples celtiques (vers - 450, IIIe av. notre ère).

      La protohistoire des Celtes, c’est à dire la période entre la préhistoire et l’histoire, débuterait à la fin du fer ancien (période dite de Hallstatt). Dans l’imaginaire populaire, les Celtes ont souvent été considérés comme un ramassis de peuplades incultes et barbares. Les historiens ont d’ailleurs longtemps délaissé l’étude de cette civilisation non « classique » par rapport à celles romaines, grecques, étrusques, égyptiennes etc... . Pourtant sources écrites et vestiges archéologiques sont très nombreux. Les Celtes sont tout de même à l’origine de grandes villes telles Londres, Paris, Milan, Belgrade... .


      2 interrogations majeures guideront ma synthèse. Tout d'abord, pourquoi les Celtes ont une réputation de barbares, de peuples, disons-le, sous-développés en comparaison des autres civilisations de leurs temps ? Ensuite, d'où viennent-ils ? Autant la première question est relativement simple à expliquer, autant la deuxième est extrêmement complexe si bien que les réponses des historiens divergent encore aujourd'hui.


I]. Les renseignements et les qualificatifs désignant les Celtes proviennent de sources écrites "étrangères".

      La rareté des sources directes s'expliquent par le fait que les Celtes nous ont laissé très peu d'écrits. Ils maîtrisent bien l'écriture mais contrairement aux Grecs, aux Égyptiens..., les matériaux utilisés étaient périssables. De plus, toute leur vie s'articulant autour de l'oral, ils n'avaient pas l'habitude de consigner par écrit leurs traditions, leurs histoires, leurs comptabilités. Enfin les Celtes comprennent une centaines de peuples non unis politiquement. Ainsi, ne se définissant pas eux-mêmes comme Celtes, Gaulois, Arvernes, Eduens... ils ne parlaient pas de la même voix, les informations se sont donc plus facilement perdues. Ces raisons expliquent pourquoi les textes qui nous renseignent sur les peuples celtiques sont rédigés par d'autres civilisations. Les informations sont par conséquent forcément partielles et partiales. A titre d'exemple, afin de connaître les États-Unis d'aujourd'hui, il suffit d'imaginer uniquement les renseignements émis par les autorités syriennes, pour comprendre que la connaissance du pays sera des plus incomplètes !

Voyage supposé de Pythéas.
      Un des plus anciens témoignages qui nous est parvenus provient du récit d'un carthaginois, Himilcon, lors d'un voyage sans doute près de la Pointe du Raz. Les premiers auteurs évoquant les Celtes sont majoritairement Grecs. Il s'agit d'Hécatée de Milet, de l'historien Hérodote et de Xénophon. Ce dernier raconte comment des mercenaires celtes ont été recruté dans les armées spartiates en - 369 av. pour combattre Thèbes. Vers - 320 av., le navigateur Pythéas raconte également son extraordinaire périple le long des côtes bretonnes avant sans doute d'atteindre l'Islande actuelle. Et puis, pour Planton et Aristote, les "Keltoï", ayant pour habitude de s’enivrer, font partie des 4 grands peuples barbares.

<--- Source : Chevallier (R.), Voyages et déplacements dans l'Empire romain, Paris, 1988.

      Plus tard, les échanges commerciaux multiplient les contacts, les sources se font plus précises et plus abondantes : Polybe, Strabon, les Romains Rufus Avenius, Tite-Live, Pline l'ancien nous renseignent davantage sur ces peuples celtiques. Dans La Guerre des Gaules, César décrit bien les 5 peuples, les "Celtae", situés en Armorique : les Osismes dans l'actuel Finistère, les Coriosolites, les Redones, les Namnètes et les puissants Vénètes.


" Les Vénètes sont la plus puissante tribu côtière. Ils possèdent la plus grande flotte, avec laquelle ils commercent [...] leur connaissance et leur expérience de la navigation surpasse celles des autres tribus et leur contrôle des ports côtiers leur assurent un droit de passage". La Guerre des Gaules de Iulius César.

      Ces sources écrites partiales sont affinées, contredites ou complétées par les vestiges dans le sol. Ainsi, par une exceptionnelle coïncidence, une pièce d'or provenant certainement du navire de Pythéas a été retrouvée en 1959 sur la plage de Lampaul-Ploudalmézeau, ce qui tend à confirmer cette source.


II]. 2 thèses coexistent sur les origines des peuples celtiques.

A. La thèse classique et la plus répandue : une vague migratoire venue d'Europe médiane.


      A partir Vème siècle avant notre ère, un phénomène migratoire important se produit en Armorique : c'est l'arrivée des Celtes. Ils sont partit d'une région de l'Europe centrale située entre le Rhin et le Danube. Cette thèse d'une migration se diffusant à partir d'un noyau central mythique produit des cartes qu'on retrouve facilement (voir ci-dessus). 

      Pourquoi cette migration ? Car, à la fin de l'âge du bronze, l'usage de plus en plus répandue du fer permet des avancées agricoles importantes menant à un essor démographique engendrant à son tour une surpopulation. Trop d'hommes sur un même emplacement provoque des départs. Et puis poussés par des peuples germaniques dotés d'armes en fer plus efficaces, les peuples celtes se seraient alors déplacés majoritairement vers l'Ouest puis vers le Nord mais également vers l'Est jusqu'en Anatolie dans l'actuelle Turquie. Mais attention, ce vaste mouvement de populations vers de nouveaux territoires ne doit pas être interprété comme une opération pensée par une autorité centrale.

     Cette vision équivaut pour l'Europe à assimiler période celtique à âge du fer. L'âge du fer serait donc divisé en deux phases suivant les noms de 2 sites archéologiques celtes : Hallstatt puis La Tène. J'avais évoqué avec vous la période hallstattienne. Celle de La Tène ou second âge du fer allait du Vème siècle à la conquête de la Gaule par les Romains.

B. La nouvelle thèse : les Celtes se venus de l'Ouest à une période antérieure.



      Très récente, une seconde thèse émerge à partir des recherches des britanniques John T. Koch et Barry Cunliffe. Elles reposent sur l'archéologie, la génétique, la philologie et l'informatique. Selon lui, les Celtes seraient le fruit d'une migration atlantique à l'âge du Bronze. Pendant cette période, l'espace atlantique était particulièrement florissant, le commerce de l'étain (à la base du Bronze) permet des échanges avec toute l'Europe. Ces dernières études ne remettent pas fondamentalement en cause la première thèse, il y aurait seulement eu un déplacement de la puissance économique vers le centre de l'Europe, producteur de fer et plus proche du florissant bassin méditerranéen. 

      Par contre, avec cette seconde vision, les peuples celtisés ne sont plus totalement dépendants de la période nord-alpine laténienne (de la Tène) comme point de départ. En plus, fait nouveau, l'Europe central aurait aussi été influencé par un axe atlantique différent sous forme d'échanges commerciaux, de circulation des hommes et des idées. Les deux cultures sont étroitement liées mais également indépendantes l'une par rapport à l'autre. 

      Le Vème siècle est déterminant : les ressemblances entre ces 2 "blocs" prennent le pas sur les divergences, ce qui a poussé à la faute en faisant croire à l'existence d'une seule et même civilisation.



      D'où viennent les Celtes ? Cette question est relancée avec la nouvelle thèse encore peu développée (sur internet la première domine largement). Avec elle, sont abandonnées les notions de centres, de périphéries et donc la vision presque simpliste de la diffusion à partir d'un cœur central. Des sources écrites connues, les Celtes ont longtemps conservé la réputation de mercenaires assoiffés de sang, d'hommes peu cultivés et aux pratiques grossières dignes des peuples barbares. Puisque étrangères aux Celtes d'Armorique, les informations émanant de ces récits sont presque systématiquement incomplètes et erronées. Pourtant, comme nous le verrons le mois prochain, l'archéologie nous livre une autre version de l'histoire.

      Enfin, ce qu'il faut retenir c'est que le peuple celtique n'existe pas ! C'est une juxtaposition de peuples aux langues variées dont la culture celtique peut, elle, être revendiquée par la plupart des peuples européens actuels.


Ci-contre : Sculpture "à la lyre" (IIème siècle av notre ère). D'une hauteur de 43 cm, elle est découverte en 1988 dans une résidence aristocratique fortifiée à Paule (22) sur les terres des anciens Osismes. Le personnage, en plus de son instrument de musique à 7 cordes, présente un torque, collier en tôle d'or soulignant sa bravoure et sa dignité.


A suivre :

ici Chapitre 7 : Civilisation et économie de l'Armorique celtique.
Chapitre 8 : Conquête romaine de l'Armorique.

Précédemment :

ici Chapitre 1 : le Paléolithique en Bretagne (- 7 000 000, - 10 000 av. notre ère).
ici Chapitre 2 : Le Mésolithique en Bretagne (- 10 000,- 5 000 av. notre ère).
ici Chapitre 3 : Le Néolithique en Bretagne (vers - 5 000, - 2 000 av. notre ère).
ici Chapitre 4 : L'âge du Bronze en Bretagne (vers - 2 000 , - 800 av. notre ère).
ici Chapitre 5 : Le premier âge du fer en Bretagne (vers - 800,  - 450 av. notre ère).


Pour aller plus loin :

CUNLIFFE (B.), L'Europe des origines, la protohistoire 6 000-500 av JC, Paris, 1992.
CUNLIFFE (B.), GALLIOU (P.),  Les Celtes, Paris, 2006.
KOCH (J.T.), Celtic culture : a historical encyclopedia, Oxford, 5 Vols, 2006.
KRUTA (V.), Les Celtes. Histoire et dictionnaire, Paris, 2000.
KRUTA (V.), Aux origines de l'Europe : le monde des Celtes, Paris, 2001.


Webographie
en anglais : ici, le projet ABrAZo (Ancient Britain and the Atlantic Zone) du professeur J.T. Koch. (consulté le 20.08.2013)
Le crépuscule des Celtes, un documentaire d'Arte et de la télé suisse romande, 2008.
Les Celtes, un aujourd'hui daté documentaire d'Arte dont j'ignore la date, sans doute entre 1990-1998.
Le guerrier celte de la Bouëxière, Chroniques "Histoire de Bretagne" sur France Bleu Armorique en 2010. Cette statuette de guerrier en bronze et en verre, rare témoignage de cette période de l'histoire de Bretagne.

H.M

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