« Partez d’ici, sales nègres ». Les mots ne sont pas
prononcés il y a 30 ou 40 ans, dans le sud de la France ou en région
parisienne. Ils datent de février dernier, sur le parking du Leclerc de
Plérin, dans les Côtes d’Armor. Ils auraient pu avoir été
entendus ailleurs, là n’est pas vraiment la question. Les cibles? Deux
jeunes garçons, fils métis d’une bretonne, désormais installée à Paris,
aujourd’hui rédactrice en chef du magazine Elle. Une situation qui lui permet, bien entendu, plus
facilement de projeter au grand jour ce qu’elle qualifie " d'uppercut " reçu. On ne saurait sans doute mieux qualifier l’épisode lorsque l’on
voit ses enfants, sa famille, se faire insulter de la sorte, de manière
gratuite, pour une simple question de couleur. On pourrait estimer que ce « partez d’ici, sales
nègres », tout en restant inacceptable, n’est qu’un épiphénomène. Qui
plus est en Bretagne, terre traditionnellement ouverte, accueillante
vis-à-vis de la diversité, territoire où les identités multiples sont
mieux intégrées et acceptées qu’ailleurs, région de « conquête » pour le
Front National, où il ne réussit pas à combler son retard par rapport
au reste de l’Hexagone. On pourrait se dire ça, pour se rassurer, et
tourner la page, faire comme si de rien n’était. Ce serait [...] se voiler la face.
Car la réalité bretonne a clairement évolué depuis 2002 et tend à s’inscrire dans la tendance nationale, en matière d’expression du racisme comme d’autres éléments. En 2002 [...] entre les deux tours de la présidentielle, les villes bretonnes connaissaient leurs plus fortes mobilisations depuis la Libération pour dire non au Front National. Mais [...] sur des terres nettement moins concernées par la pression migratoire qu’ailleurs [...], un taux de chômage globalement toujours parmi les plus bas de France, les 15 dernières années ont vu une montée régulière du vote en faveur du Front National. A tel point que, désormais, celui-ci est présent au Conseil régional, dans des conseils municipaux et des conseils communautaires. Dans certaines villes, à Saint-Brieuc, Lorient, Fougères ou Saint-Nazaire par exemple, des tandems et des listes frontistes ont dépassé les 15%, parfois les 20% des suffrages exprimés lors des dernières élections, les départementales et les régionales de 2015. Du jamais vu...
Bien entendu, ces résultats restent encore loin de ce qui a pu s’observer au niveau national, mais si loin également de ce qui s’observait 10 ans plus tôt. A Fougères par exemple, la liste FN ne récoltait que 8,16% des suffrages aux régionales de 2004, contre 20,97% au premier tour en 2015. A Lorient, même tendance : 9,49% en 2004 pour le FN, 18,32% 11 ans plus tard. On peut chercher toutes les raisons, totalement objectives, expliquant cette hausse du vote frontiste, il n’en reste pas moins que les conséquences sont également là : à mesure que le vote frontiste s’installe, le rejet de la différence progresse. Par un effet mécanique, le renforcement du FN a donné des ailes aux mouvements de l’extrême et de l’ultra droite bretonne, qui n’ont cessé de multiplier les attaques contre tout ce qui peut représenter l’ouverture et la diversité.
De la même manière, un site d’actualité breton (Cf. Breizh Info),
proche de l’extrême-droite, est aujourd’hui parmi les sites ayant la
meilleure visibilité sur internet dans la région, au-delà des habituels
incontournables : Le Télégramme, France Bleue, France 3... Certains répondront sans doute que lors d’actions et
de manifestations, telles que celles contre l’accueil de quelques
dizaines de réfugiés syriens ou irakiens en Bretagne, il s’agit toujours
de la même cinquantaine ou centaine de personnes que l’on retrouve un
peu partout. Mais par leur présence, par la visibilité qu’ils donnent à
leurs actions, ils font, là encore, diffuser leurs idées au sein d’une
population parfois en manque de repère, également sur ces sujets. Ce « partez d’ici sales nègres », c’est dans ce contexte
général qu’il est nécessaire de le replacer et de l’inscrire. Et la Bretagne
n’est pas immunisée contre la bascule vers le rejet ou la haine de la différence.
Les difficultés, la colère, le sentiment de déclassement vécu par une
partie de la population pourrait amener ces derniers à chercher, comme ailleurs, des explications et des coupables tout désignés,
alimentant au passage d’ores et déjà le repli et le rejet. Ne pas en
avoir conscience aujourd’hui serait une faute. Vouloir le minimiser car
cela ne correspond pas à l’image que la Bretagne souhaite avoir
d’elle-même et donner au monde, plus encore.
Durant les 50 dernières années, la Bretagne
est passée d'une terre d’émigration à terre d’immigration. Cinq décennies,
c’est à la fois peu et beaucoup. Peu à l’échelle de l’Humanité, beaucoup
au niveau d’une vie. Et ceux qui ont vécu l’époque, pourtant pas si
lointaine, où les Bretons étaient ceux qui étaient rejetés sont de moins
en moins nombreux. Il ne faut pourtant pas remonter bien loin pour
retrouver des traces de discours racistes à l’égard de ces Bretons qui
parlaient une langue bizarre, vivaient entre eux, portaient leurs
propres tenues, ne cherchaient pas à s’intégrer en somme. Une réalité
qui doit rester présente dans la mémoire bretonne, si elle ne veut pas
basculer à son tour dans le climat de plus en plus nauséabond qui semble
s’élever ailleurs en France.
Extraits tirés de : Lucas-Salouhi Erwann, Ce racisme rampant qui infuse en Bretagne, Ar C'hannad, 14-02-2017.
Pour mémoire, en rappel au dernier paragraphe :
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