
" Songez que nous serons tombés, non pas pour la Justice ou la Liberté dont la République Française s'est moquée tout autant que l'Empire Allemand, mais pour le rachat de notre terre et puis pour la beauté du monde. "
Le 12 octobre 1915, Yann-Ber Kalloc'h rédige une lettre destinée à Achille Collin. Elle sera à l'origine en 1919 d'une pétition en faveur de l'enseignement du breton, pétition signée par des milliers de Bretons dont des personnalités de l'époque. Elle sera remise à de multiples responsables de l’État français ainsi qu'au président étasunien T. Wilson par le député Régis marquis de l'Estourbeillon de la Garnache, mais ne sera pas même examinée.
« Je vous ai parlé d’un « plan d’action » après la guerre. C’est
un bien grand mot. Les circonstances, avant tout, décideront de la
conduite à tenir. [...] aussitôt la paix
signée, que l’on fasse circuler en Bretagne une sorte de pétition au
gouvernement, demandant l’enseignement de la langue et de l’histoire de
la Bretagne dans toutes les écoles secondaires et supérieures de toute
la Bretagne. Les signataires de cette pétition ? Tout le monde, mais
avant tout les soldats, ceux qui auront versés leur sang pour la France,
officiers, sous-officiers, simples soldats et marins. Rappeler les
blessures, les citations, les morts. L’envoyer cette pétition, au
gouvernement et à chaque député et sénateur, mais aussi à tous les
journaux, bretons et parisiens. Entre nous, je ne crois pas qu’elle
obtienne de réponse des pouvoirs, mais ce sera une excellente occasion
de faire de la publicité, du bruit. Il faudra crier fort, hurler, rugir.
Petit moyen pour une grande cause, mais l’esprit de notre âge est
petit. Il faut se mettre à sa portée. Quand la partie dirigeante de
l’élite française sera bien convaincue de ceci : que la langue des héros
bretons, celle qu’ils parlaient à Dixmude en Champagne, en Artois en se
lançant vers les assauts mortels, il est juste et convenable qu’elle
soit enseignée dans leurs écoles, notre cause sera gagnée. Mais voilà :
il faudra profiter de l’état d’esprit d’après la guerre qui ne sera plus
le même cinq ans après. Il faudra agir tout de suite. [...]
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Yann-Ber Kalloc'h en uniforme de sous-lieutenant du 219ème régt d'infanterie. (Ici, son certificat de décès) |
La guerre est un atout dans notre jeu. Un autre, ce sera l’affaire
de l’Alsace-Lorraine. Revenue à la France, cette province ne pourra pas
être soumise au même régime que les autres, sous peine de lui faire
regretter les jours où elle fut allemande. Lois antireligieuses,
centralisatrices, « unilinguistiques », ils ne comprendraient pas si on
leur jetait tout cela à la tête. Elle aura des privilèges, l’Alsace, sur
tous ces chapitres puisqu’elle les avait auparavant. Sa langue sera
enseignée dans toutes ses écoles. Et tout cela sera très bien. Nous
l’approuveront, nous l’aiderons au besoin à obtenir ou plutôt à
conserver ces biens - et nous réclamerons des pouvoirs le même
traitement pour nous. Il y aura à notre avantage que nous nous serons
fait casser la figure pour la reconquérir l’Alsace à la France et la
liberté à l’Alsace. Par conséquent, la position sera très bonne pour
nous. L’exploiter habilement.
Ne jamais oublier, du reste, que l’œuvre primordiale, la plus
urgente sera d’assurer le salut de la langue. Si nous perdons notre
langue, en vingt-cinq ans la Bretagne sera devenue une banale région
française, ou plutôt cosmopolite, ayant perdu tout caractère. Si nous la
sauvons, le reste nous sera donné par surcroît : autonomie
administrative, économique, religieuse, etc. Tout cela sera facile à
conquérir quand nous aurons conquis l’école, c’est-à-dire l’âme des
enfants. Il n’y aura plus qu’à avancer la main et prendre. »
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