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TRAYER (J-B.), Marché aux chiffons dans le Finistère, huile sur toile, 181 x 261 cm, 1886. |
CONTEXTE
Les foires représentent un moment important dans la vie quotidienne des
campagnes. Elles ont lieu au bourg, vers lequel des centaines de paysans
convergent au jour dit pour vendre leur production et acheter des bêtes
ou des victuailles, mais aussi parfois simplement pour s’informer, se
distraire et voir du monde. Mais, dans la France rurale, chaque pays a
en la matière des traditions différentes. “ Nulle part l’ancienne
civilisation campagnarde ne prenait, au XIXème siècle, une forme plus
parfaite, plus typée, plus riche dans tous les domaines, qu’en Bretagne,
pays très isolé, maintenu à l’écart des influences étrangères par sa
position péninsulaire ”, écrit Y. Brekilien, historien de la Bretagne. Qu’en est-il pour les marchés ruraux et les vêtements ?
ANALYSE DU TABLEAU
La toile de Jean-Baptiste Trayer, peintre bien oublié aujourd’hui, nous
introduit au cœur d’un marché aux chiffons dans la Bretagne de la fin du
XIXème siècle. Avec un style simple, d’un certain académisme, et une
palette relativement claire, il représente un peuple de femmes de tous
âges occupé à acheter des pièces de tissu et des chiffons, en marge du
marché dont on distingue plus loin les autres étals. Certaines
inspectent la marchandise, d’autres en discutent le prix, d’autres
écoutent simplement. Il est à cet égard frappant de noter le contraste
entre l’austère tenue de ces Bretonnes – épaisse robe noire, collerette
et coiffe blanches – et les étoffes rouges, bleu clair, jaunes, roses,
qu’elles négocient. Ce tableau est pourtant un peu trompeur, car il fait
oublier que les hommes aussi fréquentent les foires ; ce sont eux,
notamment, qui s’occupent de l’acquisition des bêtes.
INTERPRETATION
Le tableau de J-B. Trayer indique une certaine ouverture culturelle et
économique : ces femmes achètent leur tissu au marché, alors que les
habitudes de l’autoconsommation pourraient les conduire à utiliser la
laine de leurs moutons, qu’elles fileraient le soir à la veillée. Ces
deux pratiques, au demeurant, ne sont pas incompatibles. Les Bretons,
comme le reste des ruraux français, possèdent du linge de corps en
abondance, mais peu de vêtements de dessus : ils enfilent des nippes
pour les travaux des champs et réservent leur costume pour le dimanche.
Les pantalons, bragou braz, la coiffe des femmes ou corledenn, le gilet noir appelé jiletenn,
varient fortement d’un pays breton à l’autre. Mais ces tenues “
folkloriques ” n’ont été fixées qu’à la fin du XIXème siècle, au moment où
l’uniformisation nationale s’est mise à menacer les costumes régionaux.
Ivan JABLONKA, écrivain, professeur d'histoire contemporaine à Paris XIII.
Sans représenter un lieu précis, la scène se situe dans la région de Concarneau d’après les costumes. Le clocher, caractéristique du Finistère, confirme la localisation en Basse Bretagne. Le
tableau est composé de manière classique à partir d’une horizontale qui
le coupe en deux parties égales : la partie supérieure consacrée au
ciel, aux feuillages et aux éléments architecturaux, traitée dans une
gamme de bleus, de bruns et de gris, met en valeur la partie inférieure
modulée par la lumière, où sont représentés les personnages. Elle est
rythmée par le blanc des coiffes et les taches de couleur des tissus. Dans la scène principale, au premier plan, sont concentrés tous les
détails pittoresques : enfants, poupée dans un panier, port du panier
sur la tête, chien, etc. Les costumes, principalement féminins, évoquent l’ambiance populaire du marché. Les femmes portent des jupes longues souvent complétées par un tablier. Alors que les ouvrières des conserveries portent une coiffe penn sardin et couvrent leurs épaules d’un châle, les femmes de la campagne portent des coiffes et des cols giz Fouen [mode du pays de Fouesnant (33 communes concernées)]. Certaines portent des gilets de velours noir en usage l’été. Les hommes portent le chapeau rond et un gilet noir sans manche. Le costume des enfants est indifférencié pour les garçons et les filles jusqu’à l’âge de 6 ans. Il est constitué d’un béguin (bonnet pour enfant), de jupes et de tablier avec soit un col, soit un châle. La petite fille pieds nus, plus âgée, porte un costume de femme. Les ailes de sa coiffe sont laissées pendantes sur ses épaules.
Le costume dans les collections du Musée des Beaux-arts de Quimper
Pour aller plus loin :
BOUCHE (Y.), Coutumes et usages locaux à caractère agricole en vigueur dans le département du Morbihan, Vannes, 1939.
BREKILIEN (Y.), La vie quotidienne des paysans en Bretagne au XIXème siècle, Paris, 1966.
DELOUCHE (D), (dir.), Bretagne, images et mythes, Rennes , 1987
WEBER (E.), La Fin des terroirs : la modernisation de la France rurale (1870-1914), Paris, 1983.
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