Question ludique : nantaises dans leur dernière demeure...


Qui sont les Nantaises enterrées au cimetière du Père Lachaise à Paris ?


Indice 1 : elles sont au nombre de cinq. Cinq nantaises qui reposent dans le cimetière parisien fréquenté par 3,5 millions de visiteurs.

Indice 2 : trois d'entre elles sont auteures, l'autre est la mère d'un des plus grands écrivains français et la dernière est la femme d'un illustre explorateur disparu en mer à bord de L'Astrolabe ou de La Boussole. Certaines sont des féministes avant-gardistes, quittant leur époux, ayant des amants célèbres, prônant l'égalité homme-femme.

Indice 3 : elles sont quasiment toutes contemporaines, leurs vies s'étalant sur les XVIIIème et XIXème siècles et certaines se connaissent.

Indice 4 : Vingt-quatre heures de la vie d'une femme sensible, L'écuyer Dauberon, Boabdil, Épitre aux femmes, sont certaines de leurs œuvres respectives.

Indice 5 : leurs portraits ci-dessous, qui ont des chances de ne pas vous mettre sur la piste...

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Réponse : (de gauche à droite) Élisa Mercœur, Constance de Salm-Dyck, Sophie Trébuchet, Éléonore Broudou et Mélanie Waldor.

        Éléonore Broudou est née la première en 1755 dans la paroisse Sainte-Croix à Nantes. Son père est armateur et nommé administrateur de l’hôpital de Port-Louis, petite ville sur la côte nord-ouest de l’île de France (aujourd’hui île Maurice). A 17 ans, la jeune femme tombe éperdument amoureuse d'un jeune officier, l'enseigne de vaisseau Jean-François Galaup, comte de La Pérouse, de 14 ans son aîné. Malheureusement, le marin est presque constamment absent. Les 8 années de fiançailles ne seront que déchirantes séparations, entrecoupées de courtes retrouvailles sous les regards réprobateurs de leurs pères. Le mariage a pourtant lieu à Paris en 1783, en présence d'un seul témoin. Cependant dès 1785, le comte quitte Brest à bord de deux frégates de la Marine Royale, La Boussole et L’Astrolabe pour une expédition visant la découverte de l'Océan Pacifique. Après à peine 2 ans de mariage, les jeunes époux ne se reverront plus, puisque les navires royaux disparraissent au large du chapelet d'îles de Vanikoro (Iles Salomon) vraisemblablement en 1788. Éléonore Broudou, qui perd également son frère Frédéric, engagé volontaire sur La Boussole, nourrira l'espoir d'un retour de son époux pendant 22 ans, jusqu'à sa mort à Paris, en 1807. 

        La princesse Constance de Salm-Dyck (1767-1845), la jeune Élisa Mercœur (1809-1835) et Mélanie Waldor (1796-1871) étaient des femmes de lettres. Poétesse, écrivain, féministe, surnommée " le Boileau des femmes ", Constance de Théis ou de Salm, tient des salons littéraires renommés. Toute son œuvre traite avec conviction et authenticité de l'éducation négligée de la femme, de l'attitude dominante des hommes et des problèmes majeurs de la société de l'époque.

     « Les temps sont arrivés, Femmes éveillez-vous... », « Différence n'est pas infériorité. »
Épître aux femmes, 1797.

        Abandonnée à sa naissance, Élisa Mercœur (1809-1835) est une enfant précoce qui publie son premier essai poétique à 16 ans. Ses poèmes salués par la bonne société nantaise, puis par les illustres Chateaubriand, Lamartine, Mérimée, Musset... " la muse armoricaine " obtient des soutiens financiers lui permettant de fréquenter les salons littéraires et de déménager à Paris. Très affectée par le manque de reconnaissance et l'insuccès de sa tragédie Boadvil, narrant le destin d'un roi de Grenade, elle sombre dans le désespoir et tombe malade. Elle a 25 ans lorsqu'elle meurt d'une phtisie, affection pulmonaire en janvier 1835. A Nantes, sa ville natale, un camélia (Japonica) du jardin des Plantes, rouge strié blanc porte son nom, ainsi qu'un médaillon du sculpteur Sébastien de Boishéraud présent sur le portail principal.
Tombeau d’Élisa Mercœur au Père Lachaise. Complètement en ruine, il est restauré en 2015.


        Mélanie Waldor (1796-1871), amie d’Élisa Mercœur, est également une poétesse de talent, ainsi qu'une dramaturge et romancière. Elle est la fille de lettrés cultivés, Mathieu Guillaume Thérèse Villenave et Jeanne-Marianne Tasset, très actifs durant la Révolution qui s'opposent tous les deux aux exactions de J.B Carrier et manquent de se faire guillotiner puis noyer en septembre 1793. La jeune nantaise épouse un officier d'infanterie d'origine belge, ils auront une fille Élisa. Mais Mélanie Waldor ne suivra pas son époux quand ce dernier sera affecté à Montauban. Elle tient désormais salon à Paris, rencontre Gérard de Nerval, Alfred de Vigny, Victor Hugo... et devient la maîtresse d'Alexandre Dumas, puis du héros de la réunification italienne Camille Cavour. En 1830, elle demande la séparation de corps et de biens d'avec son mari. Elle collabore à plusieurs journaux, écrit des pièces de théâtre, des poésies et publie une quinzaine de romans, dont Nelly, ou la Piété filiale, L’Écuyer Dauberon ou l'Oratoire de Bonsecours (1832), de Jeanette, etc... Muse de l'époque romantique, Mélanie Waldor s'éteint pourtant dans la misère le 11 octobre 1871.

Médaillon de bronze de David d'Angers.
     “ Malheur à la femme qui place uniquement son bonheur dans l’amour. Mieux vaudrait pour elle qu’au moment de traverser un précipice, elle se confiât à une planche pourrie, que de se confier au cœur d’un homme pour traverser la vie : la planche se brisera moins vite sous ses pieds, que le cœur ne se refroidira sur son cœur “.
Mélanie Waldor, Revue des Deux Mondes, tome VIII, 1836.


        Enfin, Sophie Trébuchet, nait rue des Carmélites à Nantes, en 1772, dans une famille nombreuse de la bourgeoisie désargentée, l'ensemble de la fratrie sera d'ailleurs placé à la mort de leur mère en 1780. Sophie est élevée par sa tante, Françoise-Louise, une femme au caractère bien trempé, un esprit libertaire veuve de l'ancien procureur fiscal de La Chapelle-Glain. Durant, la Révolution, la jeune femme partage les idéaux royalistes, depuis l’exécution de madame de La Biliais et de ses filles, quelle connaissait. Elle s'éprend pourtant d'un militaire républicain en 1796, qu'elle épousera l'année suivante : Joseph Léopold Hugo (futur général d'Empire). Le couple accueille son premier enfant Abel à Paris en 1798. Suivront Eugène puis Victor en 1802. Femme libre, elle est la maîtresse Victor Fanneau de Lahorie, elle tient tête à son mari à de multiples reprises, celui-ci désirant vivre avec sa maitresse, demande le divorce et la garde de ses fils, qu'il obtient. Elle récupère néanmoins la garde de ses enfants, lorsque le tribunal civil prononce la séparation des corps et biens des époux Hugo en 1818. En grande difficulté financière, Sophie Trébuchet achète une demeure qu'il lui faut rénover, tombe malade et meurt en juin 1821. Son fils Victor Hugo, dans ses débuts littéraires, sera profondément marqué par l'influence de cette mère nantaise.

        Relativement peu connues de nos jours, ces 5 natives de la Cité des Ducs partageant une vie romanesque ainsi qu'un énergique caractère, méritent pourtant un détour au cimetière du Père Lachaise, bien que leur tombe ne soit pas parmi les plus spectaculaires.

Louise Joséphine Sarazin de Belmont, Paris, vu des hauteurs du Père Lachaise, 1842-1859.

Pour aller plus loin :

ici, Œuvre d’Élisa Mercœur disponible et consultable sur le site de la BnF.
ici, Œuvre de Mélanie Waldor disponible et consultable sur le site de la BnF.
ici, Waldor Mélanie, La coupe de corail, Paris, 2 vol., 1842.

Bard (C.), Chaperon (S.), (dir.), Dictionnaire des féministes, France XVII -XXi siècle, Paris, 1700 p, PUF, .
Bied (R.), Le Rôle d'un salon littéraire au début du XIXème siècle : les amis de Constance de Salm, In, Revue de l'Institut Napoléon, n° 113, p 121-160.
ici, Caillaud (P.), La vie inquiète d'Élisa Mercœur, In Annales de Bretagne, n° 59-1, p 28-38, 1952.
Dormann (G.), Le roman de Sophie Trébuchet, Paris, 1982. Très bon livre. 
Jacob (A.), Il y a un siècle, quand les dames tenaient salon, Paris, 1991.
Lassère (M.), Delphine de Girardin : journaliste et femme de lettres au temps du romantisme, Paris, 2003.
ici, Lauzon (M.), Une moraliste féministe : Constance de Salm, mémoire de maîtrise, Montréal, Université McGill, juillet 1997.



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