1765 : arrestation à Rennes du procureur la Chalotais

Le contexte de cette arrestation

        À l’issue de la désastreuse guerre de Sept Ans (1756-1763), la situation financière du royaume de France est catastrophique et exige une réorganisation fiscale en profondeur. La Bretagne, très attachée à ses libertés [...] refuse les nouveaux impôts qu’exige au nom de Versailles le duc d’Aiguillon, commandant en chef de la province. La tension monte entre les magistrats du parlement et le duc d’Aiguillon qui pousse le ministère à la fermeté à l’été 1764 :
    « Je ne veux ni faire les lois ni juger les procès mais je ne veux pas que le parlement se mêle de l’administration […] et je demande que, lorsqu’il calomnie le chef de cette administration, on le fasse taire avec le ton nécessaire pour être obéi. » 
        Les tentatives de médiation échouent et l’ensemble du parlement de Bretagne est convoqué à Versailles. L’escalade se poursuit avec la démission de 85 présidents et conseillers du parlement qui estiment, le 22 mai 1765, ne pouvoir faire autre chose « que de remettre à Sa Majesté les titres des offices dont ils ne pourraient remplir les fonctions sans les plus grands inconvénients pour le roi et les sujets, et sans établir un conflit dangereux entre l’autorité légale et l’autorité arbitraire ». Les 12 magistrats qui n’ont pas démissionné sont menacés. Le ministre Saint-Florentin est lui-même destinataire de courriers anonymes injurieux. Une enquête met alors en cause le procureur général du parlement, Louis René de Caradeuc de La Chalotais, alors âgé de 64 ans, qui aurait été trahi par son écriture.

        Dans la nuit du 10 au 11 novembre 1765, 5 magistrats du parlement de Bretagne sont arrêtés sur ordre de Louis XV, parmi lesquels les procureurs-généraux La Chalotais et son fils Anne-Jacques-Raoul de Caradeuc. Pour ses défenseurs, La Chalotais devient la victime de l’arbitraire ministériel et du despotisme monarchique.



Du « parfait magistrat » à la victime de l’arbitraire    


        Né à Rennes en 1701, avocat général à 29 ans, Louis-René de Caradeuc de La Chalotais est procureur général au parlement de Bretagne depuis 1752. Dans le portrait peint ci-dessus, de facture très classique, il affiche l’assurance du magistrat pénétré de la dignité de la charge qu’il exerce et de l’importance de son devoir d’état. Influencé comme nombre de ses pairs par la pensée politique de Montesquieu, le parlement est pour lui un corps intermédiaire entre le peuple et le roi, un écran protecteur contre les dérives possibles de la monarchie. Il prend ainsi l’apparence du « parfait magistrat », selon l’expression du temps.

        Mais La Chalotais est aussi devenu, avec l’affaire qui porte son nom, le symbole de la résistance à l’oppression ministérielle. C’est ce qu’illustre la gravure dont la diffusion fut beaucoup plus large. À la différence du portrait peint par un anonyme, certes flatteur mais non engagé, la gravure ne se contente pas de la présentation classique et interchangeable d’un profil avec des allusions discrètes à la culture du magistrat éclairé (les livres). Ici, l’image manifeste clairement un engagement en faveur de l’innocence de La Chalotais, vertueux magistrat inébranlable dans l’adversité : « Sans le faire changer, on le persécuta ; l’Envie et le Malheur augmentèrent sa gloire. Tout lui fut enlevé, sa vertu lui resta. Puise une paix durable assurer sa victoire. » En prenant le parti de La Chalotais, cette gravure ne se contente pas d’informer l’opinion. À l’instar des factums (mémoires) d’avocats qui sont débités par milliers d’exemplaires lors des grandes affaires judiciaires, elle participe de la construction du symbole de la lutte du magistrat défenseur des libertés bretonnes contre l’arbitraire et permet au public de s’identifier à partir d’un homme à une cause.

 Une icône de l’opposition au despotisme monarchique
 
        Emprisonné en 1765 avant d’être exilé à Saintes, Louis-René de La Chalotais est devenu le symbole des libertés bafouées par le despotisme ministériel. Il le doit à l’association du pouvoir de l’image et de l’écrit engagés qui le posent en victime. Le premier des mémoires qu’il rédige en détention se termine ainsi : 

     « Mais si, dans une monarchie tempérée, deux procureurs généraux de la réputation la plus intacte, l’un depuis trente-cinq ans [La Chalotais], l’autre depuis dix ans de magistrature [son fils, Caradeuc]… sont exposés à de pareils traitements, et livrés à la discrétion de leurs ennemis, n’ayant que la ressource de la justice et des lois, et même ne l’ayant pas, puisqu’ils ne peuvent écrire au roi, ni se justifier, que n’auraient point à craindre nos juges eux-mêmes ? Fait au château de Saint-Malo, 15 janvier 1766, pouvant à peine avoir quelques livres, m’en ayant été enlevés concernant la procédure criminelle. Écrit avec une plume faite d’un cure-dent, et de l’encre faite avec de la suie de cheminée, du vinaigre et du sucre, sur des papiers d’enveloppe de sucre et de chocolat. »
        En 1774, au changement de règne, Louis XVI rappelle La Chalotais d’exil et en décembre 1776 décide par lettres patentes d’ériger la terre de Caradeuc en marquisat. La Chalotais est donc bien devenu en une dizaine d’années un authentique symbole politique. Les défenseurs des libertés bretonnes l’exalteront tout au long du XIXème siècle.



Source : Beaurepaire (P.Y.), La Chalotais, symbole de la lutte contre le despotisme ministériel sous Louis XV, In Histoire par l'image [en ligne ici], consulté le 05 Novembre 2016.

Pour en savoir plus :

ici : Chartier-Le Floch (E.), 1767, L'affaire La Chalotais, 27/04/2009.
ici : Daireaux (L.), Le feu de la rébellion ? L'affaire de Bretagne vue à travers les publications imprimées (1764-1769), Thèse sous la direction de Aubert (G.), CNRS de Rennes, 2009.
ici : Pocquet du Haut-Jussé (B. A.), La Chalotais, essai de biographie psychologique. In Annales de Bretagne. Tome 72, numéro 2, pp. 263-298, 1965.
   
Beaurepaire (P.Y.), La France des Lumières. 1715-1789, Paris, 2011.
Egret (J.), Louis XV et l’opposition parlementaire. 1715-1774, Paris, 1970.
Lemaitre (A.J.), « La Chalotais, procureur général du roi : une biographie intellectuelle », in : Lemaitre (A.J.), Kammerer (O.), (dir.), Le pouvoir règlementaire : dimension doctrinale, pratiques et sources, XVe et XVIIIe siècles, Actes du colloque de Mulhouse, 11 et 12 octobre 2002, Rennes, p. 241-255, 2005.
Swann (J.), « Defending La Chalotais: The Brittany Affair, 1764-66 », in : Politics and the Parlement of Paris under Louis XV, 1754-1774, Cambridge, p. 250-283, 1995.


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