2016 : disparition d'une grande figure bretonne / Aet eo Martial Ménard d’an anaon


     " Martial Ménard vient de s'en aller après avoir consacré toute sa vie à la défense de l'émancipation de la Bretagne et du peuple breton, de sa langue et de la culture bretonnes.

      La Bretagne perd un homme de grande valeur qui en plus de militer et de s'engager pleinement, parfois au prix de sa liberté, a su créer les outils : maison d'édition, dictionnaire, chroniques linguistiques… indispensables pour les combats qu'il menait. 

      Nous n'oublierons pas non plus l'homme qu'il était. Homme chaleureux, érudit et attachant.
      Le Mouvement Bretagne Progrès dont il était un des adhérents tient à saluer l'ensemble de ses engagements.
"
 Christian Troadec , maire de Carhaix, conseiller départemental du Finistère

Martial Ménard, le laboureur des mots bretons

        Martial Ménard est un homme émouvant, à fleur de peau. Une sorte de Little big man de la culture bretonne. Si son langage gestuel est éloquent, les mots sont son pays quand ils sont bretons. Là où le Petit Robert français mobilise 40 spécialistes et propose 57.000 « entrées », il publie aux éditions Palantines un ouvrage avec 51.116 entrées. 35 ans de collectage, 7 années de travail dont les 2 dernières à raison de 12 heures par jour. Et l'aide précieuse de proches comme Divi Kervella notamment (de l'Office de la langue bretonne). Mais remontons un peu le cours du temps.

        Comme beaucoup des militants bretons les plus « acharnés », c'est dans la région parisienne que Martial Ménard voit le jour, en 1951. « Originaires de Lanrelas, dans le pays du Mené (Côtes-d'Armor), mon père et ma mère ont émigré après la guerre à Thiais, dans le 9. 4. comme on dit maintenant. Enfant de paysans, ils sont devenus manœuvre et femme de ménage, chez Rhône-Poulenc. Je ne renie pas mon passé banlieusard. Les fils de pauvres que nous étions ne trouvaient pas si mal d'habiter un HLM avec ascenseur dans les années 1960. Mes copains s'appelaient Rachid et Mamadou et il n'y avait, entre nous, pas l'ombre d'un lézard. C'était les trente glorieuses, le plein-emploi ! »

        S'il n'est pas bretonnant, papa Ménard n'a toutefois qu'une chose en tête : retourner à la terre. Un virus qu'il transmet à son fiston. Mais c'est en... Guadeloupe, durant son service militaire, en 1971, que celui-ci prend réellement conscience de sa « bretonnitude ». Les sept ou huit Bretons du régiment lui parlent des chanteurs militants Glenmor et Servat. « À mon retour, raconte Martial, j'ai découvert l'album de Stivell à l'Olympia : là, ça m'a foutu les poils debout ! ». Devenu cuistot à Paris, il n'en peut bientôt plus. Quitte à manger de la vache enragée, autant qu'elle soit " pie noire ". Mais avant de rentrer au pays, il veut apprendre la langue. « Comme j'avais quitté l'école à la fin du primaire, je me suis donné 5 ans. Cela m'a pris neuf mois. » Il faut dire que le garçon n'est pas du genre « poil dans la main ». En 1975, il débarque au stage d'été de l'association Skol an emsav, à Plomelin, près de Quimper. « Je ne suis jamais reparti ! »

« Mon prof, c'est moi... »

        Martial Ménard milite, notamment politiquement, et se laisse entraîner par ce qu'il nomme ses « virulences ». Il croise la route des activistes du FLB ARB (Front de libération de la Bretagne, Armée révolutionnaire bretonne), s'initie aux explosifs artisanaux. Et se retrouve condamné par la Cour de sûreté de l'État pour 37 attentats (sans victime, contre une caserne, un camion militaire...) Il entre à la prison de Fresnes, en 1979. « Je n'avais pas 30 ans et j'avais du temps devant moi. J'ai réussi à obtenir l'accès à la bibliothèque : trois étagères d'ouvrages en breton ou sur la Bretagne. Chaque fois que je trouvais une phrase bien tournée, une nouvelle locution ; je la notais. Un vrai boulot d'autodidacte, jusqu'à l'arrivée de François Mitterrand au pouvoir et son amnistie. Depuis, quand on me demande, c'était qui ton prof ? Je réponds : c'était moi ! ».

        Lorsqu'un jour, quelqu'un lui apprend que « le seul dictionnaire français-breton est le Vallée, qui date de 1931 et n'a pas été actualisé depuis 50 ans », Martial fonce sur l'idée d'en faire un nouveau. « J'avais déjà 7.000 pages de collectage, j'avais noté pas mal de traductions très exactes d'expressions bretonnes en français. En prenant le Petit Robert comme base, je pouvais m'y atteler. » Il s'y met sur ses jours de congés ou le soir en rentrant du travail (il est devenu, en 1983, directeur de la maison d'édition bretonne An Here). Après 2005 et la liquidation de son entreprise, il passe à plein-temps. En incluant dans son dictionnaire franco-breton « les néologismes engendrés par l'évolution scientifique et technologique... Pour qu'elles possèdent un avenir, il faut que les langues dites minoritaires puissent DIRE le monde d'aujourd'hui. Une langue qui ne crée pas est une langue qui meurt ». Le dico traduit ainsi le mot webographie (sorte de bibliographie sur le Net) en gwelennadur... Et puis les éditions Palantines sont arrivées à point nommé, pour publier sa somme. Le moment serait donc enfin venu de souffler ? « Euh pas vraiment, j'ai en route un dictionnaire historique de 10.000 pages et un autre sur le " moyen " breton (de l'an 1000 à 1650) ». Si un terme manque au dictionnaire de Martial Ménard, cela ne peut être que le mot... « fainéant ».
Entretien par Ronan Gorgiard, Ouest-France, 29/10/2010.



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