1852 : Hélène Jégado est guillotinée à Rennes


Un procès en marge du coup d’État de Louis Napoléon Bonaparte

        Statistiquement parlant, les empoisonneuses sont particulièrement nombreuses sous la monarchie de Juillet et durant le Second Empire. En 1840 et 1844, les procès retentissants de Marie Lafarge et d’Euphémie Lacoste, toutes deux accusées d’avoir tué leur encombrant mari au moyen d’arsenic, réactivent l’image de la sorcière et laissent croire, à tort, que l’empoisonnement, arme des faibles et des sournois, a été, de tout temps, un crime féminin. Cette conviction est encore renforcée en 1851 avec l’arrestation et le jugement d’Hélène Jégado, une servante bretonne accusée de 25 homicides par empoisonnement à l’arsenic et de 6 tentatives de d’assassinat.

        Le procès de cette domestique analphabète, qui s’exprime dans un mélange de français et de breton, s’ouvre à la cour d’assises d’Ille-et-Vilaine le 6 décembre 1851. En dépit du vibrant plaidoyer contre la peine capitale de son jeune avocat, maître Magloire Dorange, l’audience se clôt, le 14, sur la condamnation à mort de l’inculpée, qui continue de clamer son innocence. À une époque où Rennes n’est pas encore accessible par le chemin de fer, le coup d’État réalisé par Louis Napoléon Bonaparte le 2 décembre empêche les journalistes parisiens de se rendre au prétoire. Il prive également la défense de plusieurs témoins, notamment le chimiste Raspail, qui vient d’être incarcéré, et le médecin-député Jean Baptiste Baudin, tué sur une barricade. En France, depuis la création des cours d’assises, en 1810, et l’instauration d’un jury populaire, l’immense majorité des femmes criminelles a bénéficié, contrairement aux hommes, des circonstances atténuantes. Hélène Jégado a été condamnée à la peine capitale, car elle n’a pas hésité à tuer les enfants qui lui étaient confiés, deux prêtres et deux parentes, sa tante et sa sœur. Elle a également empoisonné d’autres jeunes servantes, aussi déshéritées qu’elle. Elle est donc apparue à ses juges comme « un être monstrueux et pervers ». Plus insidieusement, les contemporains semblent avoir reproché à la meurtrière de refuser la place qui était assignée aux femmes au milieu du XIXe siècle. À en croire les comptes-rendus d’audience, les articles de presse consacrés à l’affaire ou cette estampe à visée édifiante et moralisatrice, l’accusée n’a rien de féminin. Décrite comme laide et sans formes, alcoolique et sale, sans mari ni enfant à près de cinquante ans, Hélène Jégado s’apparente à une sorcière qui donne la mort au lieu de dispenser la vie.

Histoire de la " Brinvillers " bretonne

        Hélène Jégado naît à Plouhinec le 28 prairial an XI. Elle est la cadette d'une famille de cultivateurs aux revenus modestes. Orpheline de mère à l'âge de 7 ans, elle est alors confiée à ses tantes et placée comme domestique chez le curé de Bubry. Elle ne regagnera jamais la cellule familiale et sillonnera le Morbihan au gré de ses emplois successifs de cuisinière ou d'apprentie : Séglien, Guern, Bubry, Locminé, Auray, Pluneret, Pontivy, Hennebont, Lorient, Ploemeur... Près de 20 maisons bourgeoises ou de presbytères l'emploieront en l'espace de 18 ans. À chaque fois, elle est renvoyée ou bien c'est elle qui quitte précipitamment son employeur. Chose plus surprenante encore, le " malheur " semble poursuivre Hélène Jégado car partout où elle passe, les hôtes trépassent...

        Tout commence en 1833. Hélène Jégado a 30 ans et est placée au service du curé de Guern, Le Drogo, où elle remplace sa soeur Anna, partie travailler au presbytère de Bubry. Très rapidement, le sort s'acharne sur les membres de la maisonnée : le père et la mère du curé, sa nièce de 7 ans, ses deux domestiques et le curé lui-même décèdent à tour de rôle. Anna Jégado, venue assister aux obsèques de son ancien patron, fait elle aussi partie des victimes. Seule survivante, Hélène veille les malades jusqu'à leur dernier souffle. Bien qu'une autopsie soit pratiquée sur le corps de l'abbé Le Drogo, aucun soupçon ne se porte sur la cuisinière, qui fait au contraire figure de miraculée. Un an après le choléra qui a marqué les populations, on associe maux d'estomac, vomissements et autres symptômes à un retour possible de l'épidémie.

        En 1851, clap de fin. Hélène Jégado entre au service de M. Bidart de la Noë, avocat, professeur à la faculté de droit de Rennes et expert en affaires criminelles. Environ 2 semaines après son arrivée, Rose Texier, la domestique, tombe malade. Elle décède quelques jours plus tard. Sa remplaçante Françoise Huriaux quitte rapidement la maison après l'apparition des premiers symptômes. L'autre servante, Rosalie Sarrazin sera sa dernière victime. La succession de drames a éveillé la suspicion du maître de maison et des médecins qui se sont succédé au chevet des malades. Les autopsies pratiquées sur les corps révèlent enfin un empoisonnement à l'arsenic. Hélène Jégado est arrêtée. Très vite, l'enquête dépasse le cadre rennais et un lien est établi entre les empoisonnements de Rennes et une série de morts violentes ayant eu lieu dans le Morbihan.
Masque mortuaire d'Hélène Jégado.

       Femme pieuse et dévote, elle aurait confessé ses meurtres en prison devant l’abbé Tiercelin la veille de son exécution et accepte que ces aveux soient rendus publics après son décès. Le 26 février 1852, la foule est présente pour assister à son exécution. Hélène Jégado est guillotinée sur le champ de Mars de Rennes. Son corps est ensuite autopsié, les experts lui cherchent « la bosse du crime », le Musée de Bretagne de Rennes conserve son masque mortuaire. 

Pour en savoir plus :

BELSER (C.), ROUZET (J.), Les Grandes affaires Criminelles d'Ille-et-Vilaine, Clermont-Ferrand, 2006
BOUCHARDON (P.), " La Brinvilliers du XIXème siècle ", Crimes d’autrefois, Paris, libraires éditeurs, pp. 205-231, 1926.
BOUCHARDON (P.), Hélène Jégado, l’empoisonneuse bretonne, Paris, 1937.
COSSERON (S.), LOUBIER (J.M.), Hélène Jégado : la cuisinière de Pontivy, In Femmes criminelles de France, Clermont-Ferrand, pp. 24-35, 2013.
DEMARTINI (A.E.), Figures de femmes criminelles : de l'Antiquité à nos jours, Paris, coll « Hommes et Société », 352 p, .
LE TALLEC (Co.), Hélène Jégado, empoisonneuse en série, In Bretagne magazine, n° 53, mai-juin 2010, pp. 76-81.
MEAZEY (P.), La Jégado, histoire de la célèbre empoisonneuse, Guingamp, 1999.
TREICH (L.), Les Trente crimes d’Hélène Jégado, In Historia, n° 245, avril 1967, pp. 80-84.
TSIKOUNAS (M.), (dir.), Éternelles coupables. Les femmes criminelles de l’Antiquité à nos jours, Paris, 208p, 2008.


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