Les sabotiers de Bretagne.

        Dans la Bretagne du début des années quarante grandissent deux frères Louis-Marie et Céleste. Anaïs, la mère, épuisée de "vivre comme des bêtes" dans leur hutte humide et bouleversée par la naissance de son cadet trisomique, a fui. On ne l'a plus jamais revue. Comme leur père, ils seront sabotiers et vivront dans la hutte de bois dans la forêt de Camors. Mais le destin veille sous les traits de la jolie Madeleine. 



Le petit bémol :
- son côté parfois "roman à l'eau de rose" mais agréable à lire sur la plage.

Ce que j'ai aimé dans ce livre :
- un roman sous forme de belle leçon de tolérance en faveur de la différence.
- c'est "un roman intense sur l'âme de la forêt dans la communauté des gens du bois aujourd'hui disparue". La vie artisanale bretonne y est donc magnifiquement évoquée et donne l'envie d'en savoir plus sur ces sabotiers de Bretagne.




Le métier de sabotier

     En effet, on y apprend qu'être sabotier est une affaire de famille. C'est le père qui transmet son savoir à son fils dès l'âge de 10-12 ans. L'enfant n'allait pas à l'école du village mais intégrait au cours de cette apprentissage auprès du père, les mœurs et les caractéristiques des arbres de la forêt. N'était pas sabotier qui voulait !



     A travers ce roman, on comprend qu'à la différence des bucherons, les sabotiers logeaient dans des huttes permanentes et isolées au cœur des forêts. L'impression d'un grand isolement imposé et choisi est souvent ressentie au long des chapitres, c'était d'ailleurs l'image de marginaux que les sabotiers colportaient "malgré eux". Il fallait garder ses distances avec ces hommes qui suscitaient crainte, suspicion et rejet. Ils étaient quelques peu "en dehors des réalités" de leur temps à cause de préjugés et aussi à cause de leur caractère (pour demeurer dans la forêt avec ces conditions de vie, les sabotiers étaient généralement des "fortes-têtes" très attachés à leur liberté et à leur indépendance). Néanmoins ce monde artisanal des sabotiers n'en était pas moins pittoresque et riche. Beaucoup ne savaient ni lire ni écrire et à peine compter jusque dans les années 1940 mais leurs traditions orales et chantées n’étaient pas sans intérêts.


     Sédentaires et nomades se croisaient sans pour autant se mélanger. Jamais une paysanne n'aurait rêver épouser un sabotier et pas davantage un paysan n'aurait recherché une épouse habitant dans une hutte et se nourrissant de légumes rapinés et d'animaux pris au piège. Et à l'inverse, les sabotiers méprisaient les paysans qui se croyaient supérieurs. 

      Au fil des siècles, ils deviendront moins vagabonds et plus instruits. Le sabotier s'entourera bientôt d'une vache ou de quelques chèvres pour consommer laits et fromages. Se mêlant davantage à la communauté villageoise - chaque bourg aura bientôt son sabotier - leur comportement va aussitôt se métamorphoser. Le travail est maintenant permanent, pour autant, le sabotier ne va que très exceptionnellement s'enrichir et il devra souvent gérer un autre commerce (cafetier, épicier...) pour survivre.

      Le métier de sabotier est à l'agonie après la mécanisation progressive du début du 20ème siècle. Les bottes en caoutchouc font définitivement disparaître les derniers sabotiers dans les années 1940. Le roman de Daniel Cario se situe justement dans ce monde en total boulversement.


La fabrication et la vente des sabots 




     Les arbres sont coupés en hiver jusqu'en mars car le bois est en sommeil et la sève moins gênante. L'arbre est débité en bûches (passage de la "grume" à la "tronce" et de la "tronce" aux "quartiers", voir ci-contre). La hauteur et le diamètre des bûches donnaient logiquement la future pointure du sabot. Parfois, un nœud ou une fente dues au gel étaient autant de mauvaises surprises et de sabots en moins. Et c'est grâce à ses années d'expérience, que le sabotier savait calculer le retrait du bois au jugé, c'est à dire la diminution du volume total après l'évaporation de l'eau.


      Une fois débarrassé de l'écorce (sauvegardée justement pour ne pas faire sécher trop rapidement le bois), la pièce est taillée pour faire naître les flancs du futur sabot. Puis, les sabotiers donnent la forme aux sabots, et creusent le bois dégrossi pour l'emplacement du pied. Cette opération demande patience et finesse. Un sabot percé finissait irrémédiablement dans le feu ! Les autres, taillés et creusés, étaient séchés au dessus de flammes douces et constantes pendant une semaine.

Un sabotier à l'ouvrage.

     Enfin, les artisans personnalisaient leur sabot avec une marque ou des dessins selon la commande. Le talent de l'artisan était de nouveau sollicité. La laideur se vend mal d"autant plus qu'un sabot mal terminé pouvait blesser le pied de son possesseur.


     Les sabots étaient livrés à domicile par les colporteurs ou vendus sur les marchés régionaux. Et une fois la coupe des arbres épuisée dans les forêts locales, les sabotiers migraient pour entamer une autre saison de travaux dans un autre emplacement.



Pour en savoir plus :

Les sabotiers de Coat Loc'h et de Camors, in, Les métiers de Bretagne, n°11, 2005.
Marie F. Le Bris, Sabotiers de Bretagne et gens de forêts, 2010.
Sylvie Le Menn-Pellanda, Sabotiers des forêts de Bretagne, Rennes, 1997.
 ici, Sabotiers en forêt de Fougères, Association Fougères Environnement.
ici, le reportage de TF1 sur la saboterie de Riec sur Belon, mai 2012 et ici le reportage de France 3 Iroise de mai 2012 et enfin ici, un court reportage très intéressant sur la même saboterie détaillant les différentes étapes du métier de sabotier.

Bonnes découvertes estivales.


H.M

Commentaires