Les paradoxes de la Bretagne. Episode 2 : un bonheur affiché dans un territoire de souffrance.

La Bretagne, un bonheur de vivre affiché...

     Dans les enquêtes, les sondages ..., la qualité de vie bretonne est très souvent soulignée et revendiquée. C'est une région de bon-vivre. D'ailleurs  dans les classements des régions françaises où il fait bon vivre, la Bretagne arrive 1er rang en moyenne devant le Pays Basque et l'Alsace. A noter que ce sont 3 régions à forte identité régionale. Concernant les départements, le résultat est le même, les 5 territoires bretons sont dans les dix premiers !

     L'attachement à la région est extrêmement fort, beaucoup plus que la grande majorité du sentiment régional en France. De nouveaux indicateurs permettent d'approcher ce sentiment, ainsi en 2009, 63 % des jeunes bretons déclarent qu'ils aimeraient vivre toute leur vie en Bretagne. Ce taux est très rare dans les autres régions françaises. Cependant, la réalité n'est pas aussi idyllique.


... et un paradis de la souffrance.


L'omerta intellectuelle et politique autour des indicateurs de la souffrance

     La région est une terre de souffrance et il existe en effet une omerta sur cette situation. Sauf bien sûr, en répétant péjorativement que les "Bretons sont des alcooliques nés". Mais aucune réflexion n'est engagée sur les motifs de cette alcoolisation. Le sujet demeure tabou.

Une surmortalité par suicide

Indice 100 : France
En 1835, en Bretagne : 55 ! En 1971 : 57. 
En 2010 : 158 !!! Cette donnée est 3 fois supérieure à la moyenne nationale.
Depuis les années 1930, les jeunes femmes âgées de 15 à 24 ans se suicident 2 fois plus !

     Enfin, le mode de suicide diffère largement de celui utilisé dans le reste de la France. Les barbituriques sont le plus souvent utilisé en moyenne alors qu'en Bretagne c'est la pendaison, une mort plus brutal, spectaculaire et douloureuse suivie de la noyade et le sectionnement des veines perforantes.

Un haut lieu de consommation d'alcool, de tabac, de drogues et d’anxiolytiques

     Historiquement, la consommation d'alcool et l'ivresse en Bretagne était festive et ponctuelle en lien avec les grandes fêtes populaires. La consommation régulière sur l'année était très faible. Depuis le début du XXème siècle et surtout depuis le premier conflit mondial, le comportement d'ivresse est devenue une pratique régulière. C'est en effet dans les tranchées au milieu des autres jeunes français que les Bretons apprennent à boire de manière très massive.

     Pour la consommation de tabac, la Bretagne est en 2ème position après la Basse Normandie.

     La consommation de drogues dites "douces" se maintien au dessus de la moyenne nationale. Quant à la consommation de drogues dures, la Bretagne est régulièrement 1ère du classement en alternance avec la région Nord Pas de Calais.

     Enfin, la consommation d’anxiolytiques est malheureusement championne toute catégorie en France, très loin devant le second du classement. Elle atteint même des records de certains pays du monde. Les Bretons consomment en moyenne pas moins de 94 à 98 boîtes d'anxiolytiques par an contre 51 à 53 par an en moyenne nationale.

Quelques pistes explicatives possibles

     Tout d'abord un sentiment de honte enfouie. En 1950, la Bretagne connaissait une situation général de sous-développement. Il se développe une identité négative, un sentiment de honte parmi la population. Ils sont des arriérés dans le reste de la France, les "ploucs" à Paris (car leur commune commençaient souvent par "plou"). Mais aujourd'hui au contraire, il existe une fierté bretonne revendicative, une identité sentimentale (rapport à la beauté des paysages bretons, cuisine, histoire...).

     Ensuite, selon les dernières études anthropologiques, des comportements semblables à ceux présents chez toutes les minorités existeraient. Le maître mot : l'autodestruction ! Chez toutes les minorités "maltraitées", un bouleversement culturel rapide, majeur et subis induiraient des comportements destructeurs. C'est le cas en Bretagne avec un sentiment de perte soudaine d'une culture multiséculaire. Par exemple, le rapport à la mort, se rapprochant de la culture celte, était très particulier dans la région. Les morts faisaient partie du quotidien, d'une part parce que la frontière entre les morts et les vivants était fine et floue. Des croyances populaires et locales pensaient qu'ici et là on pouvait croiser des morts dans la rue, au près d'une fontaine etc... . D'autre part, parce que la mort était omniprésente émotionnellement (les marins pleurés par leur veuve etc...) et spatialement (les cimetières bretons avec leur calvaire ne sont-ils pas caractéristiques ? Et puis, ils sont au centre du bourg et non caché et à l'extérieur). Les veillées mortuaires y étaient également plus longues qu'en France, la parole très importante permettait de surmonter le deuil. En lisait des récits de l'Ancien Régime, il est surprenant de constater qu'on pouvait aussi rire lors des enterrements. L'ensevelissement des corps était peu profond, et le rapport à la nature et aux âmes différent. Autant d'aspects qui ont été totalement remis en question et plus ou moins bannis en seulement quelques années.

     La solution simple serait peut-être donc une réappropriation de cette identité, de cette culture ... . Or, l'histoire, la culture, les racines de la Bretagne sont totalement bannies des programmes scolaires. Combien de jeunes en Bretagne ont reçu un enseignement sur la géographie, l'économie, et l'histoire de sa région ?


OLLIVRO (J.), Les paradoxes de la Bretagne, Rennes, 2005.

Précédemment :
Épisode 1 : Les jeunes les plus instruits mais par la suite très peu rémunérés !


H.M

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