1734 : naissance du navigateur breton Yves de Kerguelen

Yves Joseph de Kerguélen de Trémarec
         La vie du Cornouaillais est pour le moins déroutante pour les spécialistes du XVIIIe siècle. L'homme a suscité admiration, sarcasmes, mépris, jalousie et respect, au fil des ans et des siècles. Car Kerguelen continue à titiller la plume des chroniqueurs en tous genres. L'historienne Gracie Delépine aurait voulu psychanalyser. La navigatrice Isabelle Autissier fut la dernière à tenter de percer ce qu'il faut bien appeler une énigme. Comment imaginer qu'un marin de sa trempe se perde avec une telle constance dans ses utopies, ses rêves de gloire et de conquête ? Il aura cherché en vain le continent austral, une quête qui va ruiner sa carrière et créer sa légende. Kerguelen ne se remettra jamais de la «désolation» des terres qu'il va découvrir. Longtemps après la disparition du Breton, les îles Kerguelen continueront pourtant à hanter les rêves et alimenter les cauchemars de plusieurs générations. 
 
Un passionné d'hydrographie 
 
        Il est difficile de ne pas s'attacher à l'histoire du petit noble élevé dans un manoir de la campagne cornouaillaise, à Trémarec, aujourd'hui en Landudal. Yves Joseph de Kerguelen y est né le 13 février 1734. Adolescent, il perd ses parents et se retrouve, à 16 ans, en charge de ses trois sœurs. Après des études au collège des jésuites de Quimper, il est alors admis à la Compagnie des Gardes de la Marine de Brest, antichambre pour accéder aux corps des officiers recrutés uniquement dans la noblesse. Navigations, études occupent ses années de formation. Le jeune homme se passionne aussi pour l'hydrographie. Il se marie avec une jeune Dunkerquoise de bonne et - surtout - riche famille. Yves de Kerguelen a ainsi l'occasion de rencontrer les " Grands " de la noblesse. 
 
Le nouveau Christophe Colomb promettant des richesses inexistantes (1767-1772)
 
        En 1767, la royauté lui donne pour mission de surveiller les bateaux français qui fréquentent les côtes d'Islande. Il goûte, pour la première fois, aux eaux froides. C'est dans les glaces du Nord que naîtra son envie de l'autre pôle. L'État-major prête une oreille attentive aux projets du Cornouaillais d'explorer le grand Sud. Tout le monde est alors persuadé que l'équilibre naturel du globe implique la présence d'un vaste continent quelque part au sud de l'océan Indien. L'idée d'une exploration est d'autant mieux reçue que les Anglais, rivaux sur les mers, ont déjà lancé une campagne confiée à celui qui sera l'un des meilleurs marins de tous les temps : James Cook. Yves de Kerguelen se voit, à l'égal de Christophe Colomb, inscrire son nom dans l'Histoire. Ses contemporains lui font entière confiance, d'autant qu'il a convaincu Louis XV. Le 25 mars 1771, le lieutenant de vaisseau Kerguelen reçoit les instructions du roi : prospecter au sud des îles Saint-Paul et Amsterdam. L'aventure qui suit est étonnante. Le 7 mai, Kerguelen appareille de Lorient à bord du Berryer. Arrivé à l'Île de France (Ile Maurice), il le remplace par la Fortune, une flûte plus légère. Le Gros Ventre, autre vaisseau confié à son ami cornouaillais, Louis de Saint-Alouarn, est aussi au départ le 16 janvier 1772. L'affaire est donc essentiellement bretonne. 
 
        Un mois après, la terre est aperçue, froide, stérile, désolante. Charles du Boisguehenneuc, le second de Saint-Alouarn, un autre Cornouaillais de Dirinon, réussit à descendre à terre. La tempête a éloigné la Fortune et le Gros Ventre. Kerguelen rentre seul à l'Ile de France, puis mouille à Brest le 16 juillet 1772. Il n'a aucune nouvelle du Gros Ventre. Et pour cause : Louis de Saint-Alouarn a continué son voyage. Il a atteint la côte ouest de l'Australie, tout aussi brûlante que les premières îles découvertes étaient froides, et est remonté vers Timor. En septembre 1772, le Gros Ventre et son équipage très éprouvé, reviennent à l'Ile de France. L. de Saint-Alouarn y meurt peu de temps après. Y. de Kerguelen n'en sait rien. Le temps est aux honneurs de la découverte. À Paris, le héros invente une terre riche de promesses et obtient le financement d'un second voyage vers " la France australe ". 
 
 
La fuite en avant (mars 1773- septembre 1774)
 
        En mars 1773, la deuxième expédition quitte Brest. Elle sera désastreuse. Que cherche Kerguelen ? Peut-il être aveugler par ses propres mensonges ? Juste avant le départ, une ombre se glisse furtivement sur le bateau : Louise Seguin, qui a environ 14 ans. Pourquoi le navigateur, au sommet de sa gloire, fait-il venir cette jeune fille ? Ce voyage annoncé comme une expédition glorieuse sombre dans le désordre, car en outre, le sort s'acharne : le scorbut affaiblit les équipages, de jeunes officiers contestent l'autorité de Kerguelen qui a enfreint le règlement avec sa passagère clandestine. Le 14 décembre 1773, les îles sont à nouveau en vue. Mais la tempête sévit. Yves de Kerguelen, une deuxième fois, regarde le sombre horizon des montagnes, sans descendre à terre. Le schéma du premier voyage se répète. Une nouvelle fois, Kerguelen remonte vers le Nord, les mains vides. Entre-temps, les rescapés du Gros Ventre sont rentrés sur Paris et ont ouvert les yeux des autorités sur la réalité de la " France australe ". Le navigateur est de retour dans le port de Brest dès septembre (1774). Le capitaine de vaisseau de Kerguelen est traduit en conseil de guerre, privé de son grade et condamné à 5 ans de réclusion pour manquements à sa mission. Incarcéré au château de Saumur, il est relaxé le 25 août 1778, après plus de 3 ans de détention. Après sa détention, Yves de Kerguelen n'est pas abattu et reprend la mer sur ses fonds propres, avec la vague idée de continuer ses explorations. Pourtant James Cook a déjà déconstruit le mythe du riche continent austral.
 
Dans le tourbillon de la Révolution (1793-1797)
 
         En cette période tourmentée et bien que réhabilité, il est malgré tout incarcéré en 1793 pendant la Terreur puis libéré et réintégré dans sa fonction de contre-amiral. C'est avec ce grade qu'il participe à la Bataille de Groix le 16 juin 1795 contre la flotte britannique. En 1796, il est mis à la retraite. L'année suivante, il s'éteint à 63 ans, oublié, à Paris. La vie et la personnalité du marin breton laissent un sentiment mitigé. Navigateur compétent, marin audacieux, certes il découvre les îles de la Désolation, auxquelles l'explorateur anglais James Cook donnera le nom d'archipel des Kerguelen mais il était aussi un homme ombrageux et orgueilleux. Encore aujourd'hui, ses pairs de la Royale ne cachent pas une certaine admiration. Les historiens, eux, sont moins indulgents !

Texte en partie issu de : Larvor (R.), Yves de Kerguélen, grandeur et désolation, Le Télégramme, 26/07/2009.


Pour en savoir plus :

ici : Récit de Charles Marc du Boisguehenneuc sur la prise de possession des Iles Kerguelen.
Autissier (I.), Kerguelen, le voyageur du pays de l'ombre, Paris, 2006.
Delépine (G.), L'amiral de Kerguelen et les mythes de son temps, Paris, 1998.
Godard (P.), De Kerros (T.), Louis de Saint Aloüarn, Paris, 2002.


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